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Pourquoi j’ai arrêté de vouloir élargir mon cercle d’amies

« Elli ma yhebbek, khali trabek yhebbou. » --> « Celui qui ne t’aime pas, laisse même ta poussière l’aimer. »

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Entre pression sociale et épuisement émotionnel, de plus en plus d’Algériennes redécouvrent la force d’un cercle restreint — mais authentique.

Quand l’amitié devient une obligation silencieuse

En Algérie, on grandit souvent avec cette idée : une femme épanouie est une femme entourée. Plus tu as d’amies, plus tu es “bien dans ta peau”. Cette image s’est intensifiée avec les réseaux sociaux : des groupes de filles complices, des stories de sorties, de voyages, de rires éclatants. Mais derrière ces clichés soigneusement partagés, beaucoup vivent un tout autre ressenti : celui d’une fatigue intérieure, d’une pression de devoir être toujours présente, sociable, disponible.

Yasmine, 34 ans, journaliste à Alger, se souvient : « À une période, je disais oui à tout. Mariages, khoutbas, 3aqiqa, cafés improvisés... Je rentrais chez moi vidée. Mais je pensais que c’était normal, que ça faisait partie de la vie sociale d’une femme adulte. »

Une fatigue invisible, mais bien réelle

Cette usure émotionnelle, peu de femmes osent en parler. Pourtant, elle est partagée par beaucoup. Selon une étude européenne, des relations amicales de qualité ont un impact direct sur la santé mentale. À l’inverse, les relations superficielles, déséquilibrées ou toxiques deviennent des sources de stress, d’anxiété, voire de solitude masquée. En Algérie, ces maux ne portent souvent pas de nom, mais se vivent en silence.

La charge mentale de l’amitié

Salima, 37 ans, mère divorcée, raconte : « C’est moi qui prenais toujours des nouvelles, qui organisais, qui créait du lien. Jusqu’au jour où j’ai compris que l’effort n’était jamais réciproque. »

Dans les cercles féminins, il existe souvent une attente implicite : celle d’être toujours disponible, attentive, engagée. Dire non, s’éloigner, prendre du recul est parfois vu comme un affront. Nadia, pharmacienne à Oran, confie : « Dès que je refuse un café ou que je choisis de rester chez moi, on me traite de ‘mkebra’ ou on croit que je boude. »

Et pourtant, poursuit-elle, « on peut être bien toute seule. Lire un livre, marcher sur la plage, rester en silence... c’est aussi une manière de se retrouver. »

Dans une société aussi communautaire que l’Algérie, se retirer ou limiter ses interactions peut susciter l’incompréhension. On attend des femmes qu’elles soient les piliers du lien, toujours disponibles, toujours connectées. Mais cette attente peut devenir pesante. Comme l’explique la sociologue Djamila Houfani, “l’appartenance au groupe est un gage d’équilibre dans notre culture, mais elle peut aussi étouffer l’individu, en particulier les femmes qui incarnent ce lien.”

La peur de manquer

Ce malaise porte un nom : le FOMO — Fear Of Missing Out. La peur de rater une sortie, un moment, une connexion. Cette angoisse sociale, nourrie par les notifications et les publications sans fin, pousse parfois à maintenir des relations qui n’ont plus de sens.

Lila, 29 ans, freelance à Constantine, a mis du temps à changer de regard : « J’ai compris que je préférais mille fois une soirée tranquille avec un roman que d’être entourée de gens qui critiquent dès que tu tournes le dos. »

Moins d’amies, mais plus d’authenticité

De nombreuses femmes choisissent désormais de s’éloigner des amitiés forcées ou superficielles pour privilégier des liens vrais, construits sur la sincérité. Ces relations organiques n’exigent rien d’autre qu’une présence vraie, même silencieuse.

Parfois, cela signifie aussi réapprendre à être bien seule. Cultiver une intimité avec soi-même, loin de la mise en scène sociale permanente. Être sa propre alliée.

Choisir la paix plutôt que l’image

Renoncer à l’hyper-socialisation n’est pas une fermeture. C’est un recentrage. C’est refuser le bruit, les attentes, les justifications. C’est préférer le calme à l’agitation, la sincérité au paraître.

Nassima, 42 ans, enseignante à Tizi-Ouzou, le résume ainsi : « Une vie réussie ne se mesure pas au nombre d’amies qu’on aligne, mais à la sérénité qu’on ressent dans les liens qu’on garde. »

Un virage après 30 ans

Pour beaucoup, le déclic survient à la trentaine passée. L’âge où l’on commence à faire le tri, non plus pour exclure, mais pour respirer. Finies les conversations sans profondeur, les obligations masquées en rendez-vous amicaux. Place aux silences partagés sans gêne, aux amies qui comprennent qu’un “non” n’est pas un rejet.

Aïcha, mère de deux enfants, a opéré ce virage : « Aujourd’hui, je ne cours plus après personne. Je suis présente pour celles qui le sont aussi. C’est tout. »

Une étude de l’Université de Harvard révèle que les femmes entre 30 et 45 ans sont les plus exposées à ce qu’on appelle la “solitude relationnelle cachée” : être entourée sans se sentir comprise. En Algérie, cette réalité prend une autre forme — moins dite, mais tout aussi ressentie. Beaucoup de femmes remplissent les espaces sociaux sans trouver un vrai espace émotionnel. D’où ce recentrage, non pas sur la quantité, mais sur la qualité des liens.


La solitude choisie n’est pas une désertion du lien. C’est, comme l’écrivait Assia Djebar dans L’Amour, la Fantasia, une manière de se retrouver en dehors de la foule. Elle parlait déjà de ces femmes “entourées jusqu’à l’étouffement”, qui aspirent à un espace pour elles seules. Un espace où le silence ne serait pas suspect, mais réparateur. Elle explique dans son livre :

L’Algérienne est condamnée au groupe : elle appartient, elle entoure, elle est toujours entourée. Mais que se passe-t-il quand elle veut se retirer, écrire, ou simplement ne plus parler ?
Assia Djebar donne une voix à celles qui ne veulent plus être seulement des "liens sociaux", mais aussi des femmes libres de choisir leurs espaces de repli, de réflexion, de rupture.

Repenser l’amitié, retrouver sa liberté

Dire non à la pression sociale d’avoir toujours “du monde” autour de soi, ce n’est pas tourner le dos à l’amitié. C’est choisir des relations plus légères, plus vraies. Celles qui ne fatiguent pas. Celles où l’on peut être soi-même, sans performance.

Dans un monde saturé de bruits, d’injonctions et de faux-semblants, se tourner vers quelques voix sincères, c’est peut-être, plus que jamais, un acte de liberté. Et de douceur envers soi-même.

Je suis née du silence des femmes
De celles qui veillent mais ne crient pas
Qui coupent le pain, les mots, les attaches
Et qui gardent la paix pour elles-mêmes.

Et vous, où en êtes-vous avec vos amitiés ?

Vous sentez-vous parfois obligée de maintenir des relations qui ne vous nourrissent plus ? Avez-vous choisi de vous recentrer sur quelques liens sincères ? Ou au contraire, avez-vous peur de vous isoler ?

Dzirielle vous invite à partager votre regard sur l’amitié au féminin dans notre société. Vos témoignages anonymes pourraient nourrir un futur article ou une chronique collaborative.





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