Il n’avait que quelques années et déjà, il traçait sur le papier les silhouettes de femmes drapées d’étoffes imaginaires. Né en Algérie dans une famille où l’art occupait plus de place que les mots, Karim Sifaoui a grandi avec une certitude silencieuse : il serait créateur. À la fois styliste, peintre, bijoutier, il allait consacrer sa vie à ce geste millénaire : sublimer la beauté par les mains.
Diplômé en 1987 de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger, le jeune prodige n’a pas hésité longtemps avant de franchir la Méditerranée. Direction Paris, ville lumière et capitale de la mode. Il y rejoint Formamod, une école spécialisée en stylisme et modélisme. Il y affine ses techniques, apprend à tailler les étoffes comme on cisèle un poème, et attire très vite l’attention des grandes maisons.
Lanvin lui ouvre ses portes. Là, dans les ateliers accessoires, il imagine des sacs, des bijoux, des souliers pour la haute couture. Mais c’est chez Jean Paul Gaultier que son talent explose. Le célèbre couturier lui confie une mission aussi précieuse qu’ambitieuse : concevoir une collection de chapeaux en perles de verre, entièrement réalisés à la main. Le succès est immédiat, éclatant. Sifaoui devient un nom que l’on prononce avec respect dans les coulisses feutrées de la mode parisienne.
Les années 90 le voient collaborer avec les plus grands : Olivier Lapidus, Hanae Mori, Max Chaoul. Mais Karim Sifaoui est un nomade de l’élégance. En 2000, nouveau départ, cette fois vers le Brésil. Là-bas, il crée sa propre marque, pensée pour une femme sensuelle, libre, ancrée dans les tropiques mais attachée au raffinement. Une Brésilienne chic et audacieuse, à l’image de ses créations.
En 2005, c’est un retour aux sources. L’Algérie l’appelle, avec ses textures, ses traditions, ses défis. Sifaoui revient avec un rêve : fonder une maison de haute couture dans son pays natal. Mais il ne veut pas reproduire : il veut réinventer. Alors il s’empare du karakou, du caftan, du burnous, et les réinterprète à la lumière de ses années parisiennes, en les traversant d’audace contemporaine.
Sa signature ? L’hybridation. Des coupes européennes sur des tissus algériens. Des broderies d’antan épurées par le minimalisme moderne. Il fait dialoguer l’Orient et l’Occident sur le corps des femmes, comme un hommage vivant à son propre exil.
En 2024, il revient sur les podiums avec “Contraste et Paradoxe”, une collection présentée à l’Alger Fashion Week, ovationnée pour sa puissance symbolique et sa finesse d’exécution. Chaque tenue y raconte une double appartenance, chaque ourlet chuchote l’histoire d’une culture trop longtemps confinée au folklore. Avec lui, le patrimoine devient manifeste de style, et la haute couture algérienne retrouve un souffle neuf.
Sur Instagram, où il partage croquis, étoffes et coups de cœur artistiques, Karim Sifaoui reste discret mais déterminé. Il ne court pas après la notoriété. Ce qu’il veut, c’est inspirer. Transmettre. Éveiller. Il milite pour que la couture algérienne sorte de l’ombre et prenne, enfin, la place qu’elle mérite dans le concert des grandes nations de la mode.
Car pour lui, créer n’est pas une ambition. C’est une fidélité. Fidélité à ses racines, à ses mentors, à ses premières amours — les tissus, les femmes, la lumière du Sud.
