Paris Haute Couture, juillet 2025. Dans l’écrin doré du Petit Palais, Daniel Roseberry présente une collection baptisée Back to the Future. Mais derrière l’apparente audace d’un voyage futuriste en noir et blanc, deux silhouettes ont capté notre attention. Et elles parlent l’algérois couramment.
Un hommage annoncé à l’Espagne… mais les broderies parlent autrement
Officiellement, la collection est « un trompe-l’œil espagnol », une ode à la silhouette flamenca et au drapé baroque. Mais la première pièce — une veste noire cintrée richement brodée d’argent — évoque instantanément le karakou algérois, dans sa coupe, sa rigidité élégante et surtout sa broderie en fil d’argent, proche du maâlem. Une citation textile évidente… mais tue.
Un peu plus loin, une autre silhouette attire l’œil : un total look noir, sculptural, porté sur un pantalon ample qui évoque sans détour le sarouel. Revisité, certes, mais encore profondément ancré dans l’imaginaire maghrébin. Une pièce qui aurait pu s’assumer comme un clin d’œil audacieux à la richesse des garde-robes nord-africaines. Pourtant, la maison évoque pudiquement une « inversion des archives »... sans jamais préciser lesquelles, ni d'où vient vraiment cette inspiration.
Silhouettes radicales et monochromes : entre archives et effacement
Sur le plan stylistique, la collection est puissante. Roseberry fait défiler des corps gainés, sculptés, dramatiques. On retrouve des volumes structurés, des robes sans corset mais chargées de tension graphique, des capes, des gants longs, des drapés asymétriques évoquant parfois des saris, parfois des tuniques antiques. Tout est noir ou blanc. Tout est maîtrisé. Mais tout n’est pas dit.
Tenues algériennes
Le silence sur l’origine : choix artistique ou effacement culturel ?
Ce n’est pas la première fois que la maison Schiaparelli s’inspire, de manière explicite, du vestiaire algérien sans jamais en revendiquer les sources. Lors d’un précédent défilé, une silhouette reprenait avec une précision troublante la coupe et les ornements du karakou algérois.
Quand l’Algérie inspire, sans jamais être nommée
Pourquoi cette omission ? Stratégie marketing pour parler au public occidental sans « exotisme » affiché ? Ou simple négligence, dans un monde de mode encore trop centré sur l’Europe et l’Occident ? Le fait est là : l’Algérie défile, mais on l’efface. Alors qu’on parle tant de restitution patrimoniale, qu’en est-il du textile ? De la mémoire des brodeurs, des coupeurs, des femmes qui ont transmis ces pièces au fil des siècles ?
Voir, reconnaître et nommer
La collection est sublime, sans conteste. Mais ce silence, lui, est assourdissant. Reconnaître une inspiration n’ôte rien à la créativité d’un designer, au contraire : cela honore les cultures qui nous nourrissent. Il est temps que la mode cesse d’être aveugle à ce qu’elle voit.
Focus : Ce qu’on reconnaît du patrimoine algérien
Le karakou noir brodé : veste ajustée avec col profond, manches longues, broderies florales argentées. Une pièce inspirée de la tenue de cérémonie algéroise.
Le sarouel revisité : pantalon bouffant structuré version combi faisant référence au badroune
#BackToTheFuture ou retour à l’aveuglement ?
Quand l’inspiration se fait sans attribution, on ne parle plus d’hommage mais de silence culturel. Et dans ce silence, l’Algérie continue de défiler, fièrement, malgré tout.
(Je précise que le "véritable" n'était pas un pic à votre encontre et je m'excuse s'il a été pris comme tel, je voulais simplement le mettre à part de mes commentaires précédents. J'adment que c'était sans doute maladroit de ma part)
azerty
07 Jul
Sans rancune, ça arrive à tout le monde de se tromper ! Je suis sûre que des références comme le Metropolitan Costume Institute vous seront très utiles étant donné les sujets que vous abordez, et ne feront que renforcer votre propos ! Bonne continuation à vous et bon courage :) Lena
Dzirielle
07 Jul
La "véritable" coquille vient d’être corrigée. Merci pour cette piqûre de rappel éditoriale, ça pique un peu, mais c’est pour notre bien. Promis, à l’avenir, on fera nos devoirs (et on ira même consulter le site du Met avant de pianoter la moindre ligne.) !
Dzirielle
07 Jul
Réponse de la rédaction : Nous remercions vivement les lectrices et lecteurs qui prennent le temps de partager des précisions historiques et de nourrir le débat autour des questions culturelles et stylistiques. C'est vrai qu'Elsa Schiaparelli est une figure incontournable de la mode surréaliste et elle a puisé dans des références multiples — orientales, asiatiques, coloniales — pour façonner une esthétique audacieuse et hybride. Le lien avec les pièces « indo-chinoises » présentées lors de l’exposition coloniale de 1931 est un point particulièrement intéressant, et vous avez bien fait de le souligner. Mais sachez que la réflexion que nous avons souhaité engager dans cet article ne portait pas uniquement sur la généalogie stylistique des créations de Schiaparelli, mais sur la manière dont certaines maisons de couture contemporaines, y compris sous la direction de Daniel Roseberry, s’approprient des codes visuels issus de cultures extra-européennes sans toujours contextualiser leur portée symbolique, ni reconnaître les héritages non-occidentaux auxquels ces éléments peuvent également faire écho. Nous sommes conscientes que ce sujet est complexe, qu’il se situe à la croisée de l’histoire de l’art, du colonialisme et de la création contemporaine. L'objectif de cet article n'était pas d'accuser, mais de poser la question — légitime — des frontières entre hommage, citation, inspiration et effacement. Nous prenons bonne note de vos remarques sur la rigueur documentaire et les intégrerons dans la mise à jour à venir de l'article. Merci pour votre lecture attentive, et surtout, pour enrichir cette discussion essentielle autour des enjeux de la représentation dans la mode.
azerty
07 Jul
Au passage, votre article contient une véritable coquille à corriger puisque vous citez "l’écrin doré du siège de la maison Schiaparelli" comme le lieu du défilé, or celui-ci avait lieu au Petit Palais et non sur la Place Vendôme... :)
azerty
07 Jul
La référence en matière d'histoire de la mode qu'est le Met cite des pièces "indo-chinoises" vues à l'exposition de coloniale de 1931 ainsi que de broderies du XVIIIe comme les inspirations d'Elsa Schiaparelli pour ces modèles. Enfin, quelques recherches supplémentaires sur la personne d'Elsa Schiaparelli vous auraient appris qu'elle était la fille d'un spécialiste de la langue et des civilisations arabes. Quitte à écrire un édito sur le sujet, faites le avec la minutie et la rigueur journalistique qu'il mérite. (2/2)
azerty
07 Jul
Quel dommage d'écrire un article si peu documenté sur un sujet où il y a tant de choses à dire. En effet, si vous aviez décidé de creuser davantage, vous auriez découvert que Daniel Roseberry ne revendique pas l'invention de cette veste, puisqu'il cite ici de façon assez littérale la fondatrice de la maison Schiaparelli, Elsa Schiaparelli (1890-1973). Pas plus de cinq minutes de recherches sur le site internet du Met Costume Institute, qui est accessible à tous, vous aurai ensuite appris qu'Elsa Schiaparelli a dessiné de nombreuses vestes de ce type, dont les modèles les plus anciens datent des années 1930, qu'elle a popularisé en métropole. (1/2)
azerty
07 Jul(Je précise que le "véritable" n'était pas un pic à votre encontre et je m'excuse s'il a été pris comme tel, je voulais simplement le mettre à part de mes commentaires précédents. J'adment que c'était sans doute maladroit de ma part)