Incarcéré depuis plus de six mois, gravement malade, Boualem Sansal attend son verdict en appel prévu le 1er juillet. Mais alors que les appels à sa libération se multiplient à l’international, une voix inattendue s’élève contre lui : celle d’Anissa Boumediene, ex-Première dame d’Algérie. Une prise de position qui divise profondément en France, pays où elle réside.
Le lundi 23 juin 2025, sur les ondes d’Africa Radio, Anissa Boumediene, ancienne Première dame d’Algérie, a pris la parole au sujet de l’incarcération de Boualem Sansal. Invitée à donner son avis sur la situation de l’écrivain, elle a exprimé, avec sobriété mais fermeté, son désaccord avec les appels à sa libération. À la question directe du journaliste, elle a répondu : « Pas du tout. »
Une réponse qui a surpris, non par sa forme, mais par la clarté de sa position. Installée en France depuis plusieurs années, Anissa Boumediene a justifié son point de vue en invoquant la gravité des déclarations de Boualem Sansal, notamment celles mettant en cause l’intégrité territoriale de l’Algérie. Elle a rappelé que l’auteur aurait évoqué une appartenance historique de certaines villes algériennes, comme Tlemcen, au royaume marocain — des propos qu’elle considère inacceptables au regard du contexte régional et des sensibilités nationales.
À 80 ans, Boualem Sansal est l’un des plus grands auteurs algériens contemporains. Lauréat de nombreux prix littéraires, il est connu pour sa plume acérée et son engagement farouche pour la liberté d’expression. Son roman 2084 : La fin du monde, dystopie religieuse et politique, avait secoué le monde francophone. Mais ce sont ses prises de position sur la politique intérieure algérienne, la liberté de conscience et la mémoire nationale qui l’ont peu à peu isolé dans son propre pays.
Emprisonné depuis novembre 2024 pour « atteinte à l’unité nationale » et « diffusion de fausses informations », il est gravement malade. Le ministère français des Affaires étrangères a demandé « un geste d’humanité », sans effet à ce jour. Le 24 juin, lors de son procès en appel, le procureur algérien a requis dix ans de prison. Le verdict est attendu le 1er juillet.
Ce qui interpelle dans cette affaire, au-delà de la sévérité de la peine requise, c’est le climat ambivalent qu’elle révèle au sein de la société algérienne et de sa diaspora. D’un côté, des soutiens internationaux nombreux, relayés par la presse étrangère ; de l’autre, un silence prudent de nombre d’intellectuels algériens, parfois teinté d’un malaise palpable. Face à une question aussi délicate que celle de l’unité nationale, l’unanimité est difficile à trouver.
Dans ce contexte, la position d’Anissa Boumediene, figure respectée de l’histoire politique algérienne, a surpris certains et rassuré d’autres. Elle n’a pas plaidé en faveur de la clémence, mais exprimé une inquiétude sincère vis-à-vis de propos perçus comme attentatoires à la souveraineté de l’Algérie. Ce choix, s’il peut diviser, s’inscrit aussi dans une lecture patriotique rigoureuse, où la préservation de l’unité prime sur les débats d’idées.
Mais cela soulève une question essentielle : jusqu’où peut-on aller, dans un État moderne, pour protéger l’intégrité du pays sans compromettre la liberté d’expression ? L’Algérie porte en elle des blessures profondes — guerre civile, pressions extérieures, mémoires contrariées — qui rendent tout débat sensible. L’affaire Boualem Sansal, en ce sens, n’est pas seulement juridique ou politique. Elle révèle les tensions d’une nation en quête d’équilibre entre mémoire, dignité, et aspiration à la pluralité des voix.
Cette affaire ne peut être lue sans évoquer le conflit latent entre l’Algérie et le Maroc, autour du Sahara occidental. En soutenant que certaines régions algériennes pourraient avoir appartenu au royaume chérifien, Boualem Sansal s’est attiré l’hostilité des autorités, mais aussi celle de figures politiques très attachées à l’intégrité territoriale.
Or, cette vision nationale — que défend Anissa Boumediene — entre en collision avec une réalité transnationale : celle d’un écrivain algérien reconnu, édité et salué en Europe, dont la liberté intellectuelle dérange parce qu’elle échappe aux lignes rouges du récit national. Le procès devient alors un terrain d’affrontement entre une Algérie institutionnelle et une Algérie diasporique, libre et critique.
La diplomatie française, par la voix du ministre Jean-Noël Barrot, s’est exprimée à plusieurs reprises pour demander la libération de Sansal. Mais Alger campe sur ses positions. Le comité de soutien de l’auteur a même saisi la médiatrice de l’Union européenne pour dénoncer l’inaction de Bruxelles.
Le contexte est électrique. Le soutien de la France au plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental a été perçu par Alger comme une trahison. Dans ce climat, le cas Sansal devient un élément de négociation indirecte, un symbole diplomatique à la fois discret et explosif.
Sur les réseaux sociaux, la polarisation est totale. Certains qualifient Sansal de « traître », voire de « taupe sioniste », tandis que d’autres rappellent que la grandeur d’une nation se mesure à la manière dont elle traite ses dissidents. La phrase d’Anissa Boumediene — « Elle vit en France et y est libre » — est reprise ironiquement par de nombreux internautes, qui rappellent que la liberté d’expression n’est pas un privilège, mais un droit fondamental.
Le 1er juillet 2025, le jugement en appel apportera une réponse judiciaire à une affaire qui, déjà, dépasse largement le cadre des tribunaux. Quelle que soit l’issue, elle laissera une trace dans le débat intellectuel algérien. Boualem Sansal, qu’on approuve ou non ses prises de position, est devenu un nom chargé de sens, cristallisant des tensions profondes entre liberté d’expression, responsabilité nationale et souveraineté.
Quant à la prise de position d’Anissa Boumediene, elle restera marquante. Elle reflète une certaine lecture de l’intérêt supérieur de l’État, ancrée dans une conception exigeante de l’unité nationale. Ce désaccord entre figures algériennes, aussi douloureux soit-il, fait partie d’une histoire plus large : celle d’une nation qui interroge encore, avec complexité et parfois avec douleur, les contours de sa parole publique et les frontières de son débat démocratique.
bibiam
29 Junj'ai une question très sérieuse, elle fait quoi en france ? C qand même l'epouse de Houri Boumedienne.