Avant Cédric Grolet, nos grands-mères algériennes faisaient déjà du trompe-l’œil

La pêche en trompe-l’œil: le khoukh, icône domestique

Parmi les figures les plus frappantes de cette tradition, le khoukh tient une place à part. Façonné en pâte d'amande en forme de pêche, coloré d’un voile rosé/orangé, creusé d’une fente centrale, ce petit gâteau offre à la fois la surprise et la douceur. À l’extérieur, une peau délicate; à l’intérieur, souvent une farce d’amandes parfumée à la fleur d’oranger ou une confiture ou ganache aux fruits secs maison. Lors des mariages et des fêtes, présenter des plateaux de khoukh revenait à offrir une nature morte comestible, une promesse de douceur qui commence par l’émerveillement.

Le trompe-l’œil n’est pas un simple tour de passe-passe esthétique. Dans la culture pâtissière algérienne, modeler la pâte d’amande en fruits, en feuilles ou en fleurs est un langage. Une assiette garnie de petites roses de sucre est une déclaration de soin; les figues, citrons, abricots, fraises, raisins ou encore les pêches appelées el khokhia par certaines familles, témoignent d’un humour tendre. Ces formes disent la richesse des récoltes, la rondeur des saisons, la douceur de l’hospitalité.

Un art féminin, transmis de mère en fille

La plupart de ces créations sont nées entre les murs domestiques, portées par des mains de femmes. Faire une pêche en sucre ou un plateau de fruits modelés était une façon d’affirmer une maitrise, de montrer sa maison, et de participer au temps fort de la communauté. Ces gestes, appris dès l’enfance à côté de la grand-mère, étaient autant d’apprentissage technique que d’apprentissage social: comment recevoir, comment célébrer, comment transmettre.

Techniques anciennes, esthétiques modernes

À première vue, le khoukh, Helwet El Fakiya ou la rose en pâte d’amande semblent loin des mousses texturées et des glaçages miroir des pâtissiers contemporains. Pourtant, le fond est le même : la recherche d’un émerveillement partagé. Certaines pâtissières algériennes allaient même jusqu’à façonner de faux fruits en pâtisserie, parfois découpés pour créer une illusion parfaite. Les artisans d’aujourd’hui, en Algérie comme dans la diaspora, croisent désormais ces deux héritages. Ils mêlent les moules modernes et les techniques de glaçage à la tradition du modelage, donnant naissance à des pièces hybrides : un makrout revisité en petit fruit, une datte factice fourrée d’une mousse parfumée. C’est une manière de prolonger la mémoire en la rendant actuelle.

Pourquoi la tradition a-t-elle résisté?

Le trompe-l’œil populaire a survécu parce qu’il était utile, esthétique et symbolique. Dans les sociétés où les occasions de fête comptent, la présentation vaut autant que le goût. Les familles conservaient les gestes par fierté, parce qu’une table bien faite raconte l’histoire d’un foyer. Et lorsqu’une nouvelle génération redécouvre ces formes via les réseaux sociaux, elle réalise que l’innovation n’est pas toujours née d’un écran : parfois, elle revient à sa source.

Reconnaitre la place de l’Algérie dans l’histoire de la pâtisserie illusionniste, c’est rendre justice aux mains anonymes qui ont façonné ces objets comestibles. C’est aussi une opportunité pour les jeunes pâtissiers de puiser dans un répertoire visuel riche et d’inventer des recettes qui parlent à la mémoire collective tout en répondant aux exigences du goût contemporain.

Pour les journalistes, les chefs et les curateurs culinaires, la piste est ouverte : documenter les recettes familiales, filmer les gestes, recueillir les récits. Pour les lecteurs, la gourmandise prend une dimension nouvelle quand elle devient acte de transmission. Et pour les mains qui continuent de modeler, c’est la preuve que la beauté peut naître d’un simple morceau d’amande.