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Dzair Media City : L’Algérie construit sa « Hollywood méditerranéenne »

Un projet colossal à Ouled Fayet : Dzair Media City, future cité des médias, ambitionne de faire d’Alger la nouvelle Hollywood du Maghreb francophone.

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L’Algérie lance un projet sans précédent en Afrique du Nord : la construction d’une vaste « ville des médias » baptisée Dzair Media City. Établie à Ouled Fayet, dans la banlieue ouest d’Alger, cette future cité médiatique ambitionne de devenir un pôle régional de l’audiovisuel et du divertissement, à l’image d’un Hollywood sur les rives méditerranéennes. Couvrant une superficie d’environ 74 hectares, le site rassemblera les principales institutions médiatiques du pays, des infrastructures de production à la pointe de la technologie, et vise à rayonner bien au-delà des frontières algériennes, notamment vers le monde francophone.



La Dzair Media City est présentée comme la première ville médiatique du Maghreb et l’une des plus ambitieuses d’Afrique. Le président Abdelmadjid Tebboune a posé la première pierre du projet le 5 juillet 2023, date hautement symbolique coïncidant avec le 61e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Décidée en Conseil des ministres et confiée au ministère de l’Habitat, cette initiative témoigne de la volonté des pouvoirs publics de révolutionner le paysage médiatique national. Il s’agit de créer un écosystème complet dédié aux médias et à la création de contenus, une première en Afrique du Nord où aucun projet d’une telle envergure n’avait encore vu le jour.

Dzair Media City se distingue également par sa taille et son financement. Le gouvernement a alloué une enveloppe d’environ 1,6 milliard de dollars (220 milliards de dinars) à ce projet tentaculaire. Cette somme considérable traduit l’ambition du pays de doter sa capitale d’une infrastructure médiatique ultra-moderne capable de rivaliser avec les grands centres mondiaux. À titre de comparaison, la « Media Production City » égyptienne près du Caire – jusqu’ici la référence régionale – s’étend sur une superficie équivalente mais a été développée progressivement depuis les années 1990. L’Algérie, elle, entend frapper fort et vite en bâtissant d’un seul élan sa propre cité des médias.

Des infrastructures de pointe sur 74 hectares

S’étendant sur 740 000 m², le futur complexe intègrera l’ensemble de la chaîne de valeur médiatique. Concrètement, Dzair Media City comprendra :

  • Une zone dédiée aux médias regroupant les sièges des principaux organes nationaux : la télévision publique EPTV, l’Agence de presse APS, la Radio nationale, le diffuseur TDA, l’Agence publique de publicité ANEP, ainsi que la chaîne d’information internationale AL24 News.
  • De vastes studios de tournage et de production, dotés d’équipements aux normes internationales pour le tournage de films, séries télévisées, émissions et journaux télévisés.
  • Un village d’artistes, comprenant des espaces de création, de répétition et de résidence pour les acteurs, réalisateurs, techniciens et autres professionnels de la culture.
  • Un campus d’enseignement et de recherche dédié aux métiers des médias et du numérique, afin de former les futurs journalistes, ingénieurs du son, réalisateurs et créateurs de contenu d’Algérie et d’Afrique.
  • Une zone multiservices (ou polyvalente) offrant toutes les commodités urbaines nécessaires : restauration, hébergement, commerces, espaces de vie et de loisirs pour faire de la cité un véritable quartier vivant et autonome.

L’architecture du site prévoit même la construction de plusieurs immeubles de grande hauteur. Ces bâtiments accueilleront non seulement les bureaux et rédactions des médias, mais aussi des entreprises internationales du secteur et des startups créatives. Des gratte-ciels pourraient ainsi dominer la skyline d’Ouled Fayet, symbole de l’essor d’une nouvelle « Silicon Valley » version audiovisuelle algérienne. Studios high-tech, plateaux de télévision dernier cri, salles de rédaction connectées : tout sera conçu pour optimiser la production de contenu de haute qualité, qu’il s’agisse d’information en continu, de fictions télévisées ou de productions web.

Considéré comme un chantier stratégique, Dzair Media City bénéficie d’un suivi particulier de la part des autorités. Le président Tebboune a exigé une exécution rapide selon les normes internationales les plus récentes, avec un délai de réalisation fixé à 27 mois à partir du lancement des travaux en juillet 2023. L’objectif affiché est d’inaugurer la cité médiatique d’ici la fin 2025, afin de la rendre opérationnelle le plus tôt possible. Pour tenir ce calendrier serré, un appel d’offres international a été lancé en 2024 pour sélectionner les entreprises chargées de construire et d’équiper le complexe. Le chef de l’État a néanmoins souligné “l’impératif d’associer des entreprises nationales” à la réalisation du projet, souhaitant que le savoir-faire algérien soit mis à contribution dans cette entreprise vitrine.

La centralisation des médias publics au sein d’un même espace physique est également pensée pour gagner en efficacité. Ainsi, il a été décidé de transférer le siège de l’actuelle Maison de la Presse d’Alger vers la nouvelle cité. Un immeuble sera spécialement dédié à la presse électronique (médias en ligne), pouvant accueillir jusqu’à 50 rédactions numériques sous un même toit. Les titres de la presse écrite traditionnelle pourront, s’ils le désirent, louer des locaux dans Dzair Media City et profiter des infrastructures communes. Cette mutualisation est censée favoriser les synergies entre médias, réduire les coûts logistiques et créer un véritable esprit de campus parmi les professionnels de l’information.

Au-delà des enjeux purement économiques et technologiques, Dzair Media City s’inscrit au cœur de la stratégie de soft power de l’Algérie. En concentrant moyens et talents, le pays entend diffuser plus largement sa voix et sa culture, en particulier vers le monde francophone. L’ouverture en 2021 de la chaîne publique d’information continue AL24 News – qui émet en arabe mais aussi en français et en anglais – illustre cette volonté de s’adresser à un public international dans sa langue. Officiellement, 35 % des programmes d’AL24 News sont en français, une proportion appelée à croître avec l’arrivée de la chaîne dans la nouvelle cité médiatique, où elle côtoiera les rédactions arabophone et anglophone. L’objectif assumé est de renforcer la présence de l’Algérie “sur la scène médiatique internationale” et l’impact de ses positions à l’étranger.

Grâce à des installations audiovisuelles de pointe, l’Algérie pourra produire davantage de contenus en français – émissions, documentaires, fictions – susceptibles d’être diffusés dans tout l’espace francophone (Europe, Afrique, Canada…). A terme, Dzair Media City pourrait servir de base à des coproductions avec d’autres pays francophones, voire héberger des bureaux régionaux de médias internationaux intéressés par le marché africain. Déjà, les autorités envisagent d’offrir aux géants des réseaux sociaux une plateforme locale pour mettre en avant leurs activités dans la région MENA, en Europe et en Afrique depuis Alger. Cette dimension internationale du projet vise à faire de l’Algérie un carrefour médiatique incontournable entre le monde arabe, l’Afrique et l’espace francophone.

Vers une « Hollywood » du Maghreb ?

Le surnom de « Hollywood méditerranéenne » évoque l’espoir de voir l’Algérie se hisser au rang de haut lieu de la production cinématographique et télévisuelle. Si le projet Dzair Media City met l’accent sur l’information et les médias institutionnels, il devrait aussi bénéficier à l’industrie du film et du divertissement. La présence de studios de tournage dernier cri offre l’opportunité de tourner localement des œuvres ambitieuses, sans devoir s’exiler dans les studios européens ou marocains. À l’avenir, Alger pourrait attirer des réalisateurs de la région souhaitant profiter d’installations modernes à moindre coût, ou devenir le décor de productions internationales intéressées par l’authenticité algérienne.

Cette cité des médias participera en outre à la *valorisation du patrimoine culturel algérien. En fournissant un écosystème complet – de la formation des créateurs à la diffusion des contenus – elle permettra d’amplifier le récit algérien sur la scène mondiale. Des films et séries purement algériens, ou inspirés d’histoires locales, pourraient émerger et trouver une audience au-delà du pays grâce à la qualité technique acquise. De même, la musique, le théâtre, la création numérique auront sur place un écrin pour se développer et s’exporter. En somme, Dzair Media City ambitionne de faire d’Alger un centre créatif effervescent, capable de conquérir la Francophonie et de rivaliser avec les grands foyers médiatiques internationaux.

Bien sûr, de nombreux défis attendent ce projet pharaonique : respecter les délais et le budget, coordonner les multiples acteurs publics et privés, et surtout assurer que la liberté de ton et la créativité puissent s’y épanouir. Néanmoins, l’élan est donné. En bâtissant sa « Hollywood méditerranéenne », l’Algérie affiche une ambition claire : devenir à la fois la voix et l’image de référence du Maghreb sur la scène francophone, et plus largement un nouveau pôle majeur de la culture et des médias en Afrique.

Le paradoxe algérien : écarter le français, mais conquérir la Francophonie ?

La politique linguistique algérienne donne parfois le vertige. D’un côté, l’État semble vouloir écarter la langue française de ses institutions, de l’enseignement supérieur et des concours publics. De l’autre, il investit massivement pour rayonner dans l’espace francophone à travers des chaînes comme AL24 News, le projet de Dzair Media City, ou encore ses participations à des salons culturels et médiatiques francophones. Un paradoxe ? Pas tant que cela, si l’on comprend la double logique identitaire et stratégique qui guide cette posture.

Depuis 2019, les signaux sont clairs : le français perd du terrain en Algérie. L'État encourage l’anglais comme langue internationale dans les universités, certaines écoles primaires testent son introduction dès la troisième année, et l’administration se montre réticente à l’usage du français dans la communication officielle.

Pour beaucoup, cette évolution est une réponse à une exigence historique : décoller l’identité nationale de l’empreinte coloniale. Le français, dans l’imaginaire collectif, reste associé à la domination culturelle, à l’élite urbaine et à une forme de continuité post-coloniale mal digérée.

Les réseaux sociaux algériens ne manquent pas de débats enflammés sur le sujet. Certains y voient un tournant salutaire vers la souveraineté culturelle, d’autres s’inquiètent d’un repli linguistique qui isole le pays dans un monde de plus en plus multilingue.

Et pourtant, pendant que l’on parle de « déracinement du français » en interne, c’est bien cette langue qui est choisie pour parler au monde. Pourquoi ? Parce que le français est la langue de la francophonie, un espace culturel et diplomatique de plus de 320 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents. Un espace où l’Algérie, bien que non membre de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), possède une voix puissante et attendue.

Le français, dans ce contexte, devient un instrument de rayonnement. Il ne s’agit pas d’un attachement sentimental à la langue de Molière, mais d’un calcul stratégique : être entendu et compris là où l’on veut peser. Et cela passe par une production audiovisuelle, intellectuelle et culturelle capable de toucher Abidjan, Bruxelles, Paris ou Montréal.

Lancée en 2021, AL24 News est la première chaîne algérienne d’information en continu multilingue. Elle diffuse en arabe, en anglais… et en français. Officiellement, plus de 35 % de sa grille est francophone. C’est un choix assumé, car la langue française reste la mieux comprise à la fois par les élites africaines, les diasporas maghrébines, et certains cercles diplomatiques ou culturels européens.

Une schizophrénie ou un réalisme géopolitique ? : Ce double discours – rejet du français en interne, valorisation en externe – est souvent perçu comme une contradiction. Mais il peut aussi être lu comme une stratégie de distinction.

  • Sur le plan intérieur, il s’agit de consolider l’identité nationale, autour de l’arabe, du tamazight et de l’anglais comme passerelle vers le futur.
  • Sur le plan extérieur, le français reste un langage diplomatique et culturel utile, surtout en Afrique, où la compétition avec d’autres puissances est féroce.

Ce n’est donc pas une contradiction, mais un rééquilibrage. Le français n’est plus la langue de la supériorité intellectuelle à l’intérieur. Il devient une langue fonctionnelle, un outil au service de la stratégie d’influence de l’Algérie à l’étranger.

Entre ces logiques politiques, la société algérienne continue, elle, de naviguer dans son plurilinguisme quotidien. On parle arabe darija à la maison et dans la rue, tamazight dans les régions berbères, français dans les papiers ou les formulaires, anglais sur TikTok ou dans les pubs YouTube. Et de plus en plus, on mélange tout sans complexe.

Car au fond, la population – en particulier les jeunes – semble moins préoccupée par le débat identitaire que par la capacité à communiquer, comprendre, créer et s’ouvrir. Que ce soit en arabe dialectal, en franglais ou en hashtags, elle veut surtout avoir accès au monde. Et cela, le pouvoir semble l’avoir compris à sa manière.

L’Algérie ne renie pas la langue française. Elle en change simplement le statut. Elle ne l’érige plus en modèle intérieur, mais l’emploie comme passerelle vers l’extérieur. Le vrai message, derrière ce paradoxe apparent, est peut-être le suivant : nous ne voulons plus être influencés, nous voulons désormais influencer.


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