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Mères célibataires, un si lourd fardeau

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Dans une société encore profondément attachée à la légitimité du mariage et à la morale familiale, les mères célibataires restent l’un des visages les plus oubliés de la modernité algérienne. Derrière chaque histoire, il y a une solitude, un silence, et bien souvent une forme de survie.



Être mère sans être mariée en Algérie, c’est encore, en 2025, faire face à l’exclusion sociale, familiale et juridique. Si les mentalités évoluent lentement dans certaines sphères urbaines ou éduquées, le poids du jugement reste lourd à porter pour la majorité des femmes concernées. À l’opprobre s’ajoute l’absence quasi totale de cadre légal : ni droit à une protection spécifique, ni reconnaissance pleine pour leurs enfants, souvent privés de filiation paternelle et donc de droits civils et patrimoniaux.

« La mère célibataire reste perçue comme une transgression vivante », résume une assistante sociale dans une clinique d’Alger. « On ne regarde pas son histoire, on regarde son état civil. »

Ce qui a changé depuis les années 2000, c’est la visibilité. Certaines femmes osent parler, parfois sur les réseaux sociaux, parfois à visage couvert dans les médias. Des collectifs féminins commencent à s'organiser, bien que faiblement structurés. Mais leur voix reste fragile. Car le prix à payer est souvent immense : rejet familial, perte d'emploi, isolement, violences. Beaucoup finissent par se taire, ou disparaître.

« On m’a dit que j’étais une honte pour ma famille. Alors j’ai accouché seule, j’ai signé l’abandon, et je suis repartie travailler comme si de rien n’était », confie Samira*, 29 ans. Comme elle, des milliers de femmes vivent une maternité clandestine, souvent dans des conditions psychologiques extrêmes.

En théorie, la loi algérienne permet l’interruption thérapeutique de grossesse en cas de viol, de danger pour la santé de la mère ou de malformation grave du fœtus. En pratique, l’accès à cette procédure reste quasi impossible : les démarches sont longues, humiliantes, et la stigmatisation médicale omniprésente. Même les cas de femmes victimes de violences ou en situation de handicap mental ne sont pas systématiquement pris en compte.

Résultat : des grossesses menées dans le silence, souvent non suivies médicalement, et un accouchement qui devient un traumatisme supplémentaire.

Un abandon par nécessité, pas par choix

Faute d’alternatives, de nombreuses femmes signent un document d’abandon dans les jours qui suivent l’accouchement. Non pas par désamour, mais parce qu’il s’agit, dans bien des cas, du seul moyen de se protéger — ou de survivre.

Selon les dernières données recueillies par des associations comme l’AAEFAB (Association algérienne pour l’enfance et la famille d’accueil bénévole), plus de 80 % des femmes ayant abandonné leur enfant n’avaient reçu aucun soutien familial ou social. La plupart ont accouché dans l’anonymat, certaines sans papiers, d’autres après avoir fui leur ville ou leur région pour éviter la honte.

Des enfants sans droits

L’enfant né hors mariage reste la victime oubliée de ce système. Sans filiation paternelle, il ne peut porter le nom du père ni hériter. Si la kafala permet un accueil dans une autre famille, elle n’équivaut pas à une adoption légale. L’enfant est juridiquement « sans père », et donc limité dans son accès à certains droits : succession, visa, parfois même scolarité.

« On efface l’enfant pour punir la mère », résume une juriste spécialisée en droit de la famille. « C’est une violence institutionnelle, qui nie toute la complexité humaine de ces situations. »

Portraits de mères invisibles

Les profils sont variés. La majorité ont entre 18 et 30 ans. Certaines sont analphabètes, d’autres ont fait des études supérieures. Beaucoup travaillent : femmes de ménage, ouvrières, stagiaires, parfois étudiantes. Quelques-unes vivent en foyer, certaines dorment dans la rue. Le point commun ? L’absence de soutien. Et l’effacement systématique du père, souvent inconnu, parfois informé mais absent, rarement responsable.

Quelques rares femmes reprennent leur enfant. Selon les chiffres de l’AAEFAB, le taux de reprise ne dépasse pas 30 %, toutes tranches d’âge confondues. Les plus jeunes (20-25 ans) sont légèrement plus nombreuses à garder leur bébé, parfois avec le soutien d’une sœur, d’une tante ou d’une mère. Mais ces cas restent marginaux.

Le paradoxe est saisissant : alors que l’âge moyen du mariage ne cesse de reculer — autour de 32 ans pour les hommes et 30 pour les femmes — l’accès à la sexualité reste conditionné au cadre conjugal. Cette contradiction pousse de plus en plus de jeunes femmes à vivre une maternité hors mariage, sans en avoir ni les moyens ni la reconnaissance. Et la société peine à suivre.

Sans réforme du droit de la famille, sans accompagnement psychologique, sans accès facilité à des structures de santé et de soutien, les mères célibataires continueront de porter seules le poids d’une société qui préfère détourner le regard.

« Ce n’est pas la maternité hors mariage qui pose problème, c’est notre incapacité collective à y répondre avec humanité », résume une militante féministe.

Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la parole des mères. C’est l’écoute. Il est temps que la société cesse de juger, et commence à comprendre. Que les institutions sortent du déni. Que l’on donne à ces femmes — et à leurs enfants — la place qu’ils méritent.

* Le prénom a été modifié





Vos réactions

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SamoDzi

09 Jul

Une triste vérité que les textes de loi préfèrent la mettre dans les fonds des tiroirs, la société arrive pas à leur donner place et entre ces deux rives des femmes et des enfants perdus, oubliés et dénigrés. Rien n'empêche de leur donner un statut judiciaire où les enfants nés sous x pourront enfin exister sans pour autant mettre en avant leur sentiment de honte (tâche salle) devant un vérité où ils sont victimes, victime d'une mère et père irresponsable.

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