En Algérie, fumer reste un acte socialement inacceptable pour une femme. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à allumer une cigarette. Dans l’ombre d’un coin de terrasse, derrière une porte fermée, ou à la pause entre deux cours, les Algériennes fument. Discrètement. Parce que le regard de la société, lui, ne vacille pas.
Marcher dans une rue d’Alger cigarette à la main ? Impensable pour la plupart des femmes. L’image d’une fumeuse reste encore associée, dans l’inconscient collectif, à une transgression morale. Aux yeux de nombreux Algériens, une femme qui fume, c’est une femme qui « s’émancipe trop », une femme « sans pudeur » ou « sans repères ».
Résultat : celles qui fument le font souvent en cachette. Dans les toilettes de l’université, sur le balcon, ou dans la voiture. Une clandestinité qui en dit long sur la pression sociale.
Selon le Professeur Mohamed Bougrida du CHU de Constantine, l’Algérie compte près de 7 millions de fumeurs, dont environ 10 % sont des femmes. Un chiffre probablement sous-estimé. Car beaucoup ne se déclarent pas, par honte ou par peur du jugement.
Le tabac gagne du terrain dans toutes les couches sociales : étudiantes, mères au foyer, femmes cadres ou adolescentes. Pour certaines, fumer est devenu un geste de détente. Pour d’autres, une manière silencieuse d’exister différemment. Un acte perçu parfois comme une prise de liberté dans une société où les espaces d’expression féminins sont restreints.
« Je fume quand je suis seule, quand je suis dépassée ou juste pour respirer. C’est peut-être idiot, mais je me sens forte », confie Amina*, 24 ans, étudiante à Oran. Comme elle, beaucoup de jeunes femmes associent la cigarette à une forme d’indépendance. Un geste qui dit : « je m’appartiens ». Mais qui peut rapidement devenir un piège.
Car ce geste, souvent initié par curiosité ou par mimétisme, devient très vite une habitude ancrée. Et dans un environnement où les aides au sevrage sont rares, et les discours culpabilisants, il est difficile de faire marche arrière.
Si les campagnes de prévention restent globalement faibles en Algérie, elles sont encore plus absentes lorsqu’il s’agit de cibler les femmes. Pourtant, les risques liés au tabac sont souvent plus lourds pour elles : troubles hormonaux, infertilité, cancers du col de l’utérus, maladies cardiovasculaires en cas de pilule contraceptive…
Chez les femmes enceintes, les dangers sont accrus : retard de croissance du fœtus, risques de fausse couche, mort subite du nourrisson. Et malgré cela, le discours médical peine à toucher les principales concernées, souvent peu informées ou rejetant tout discours moralisateur.
Au-delà de la santé, la cigarette reste aussi un marqueur esthétique. Elle ternit la peau, accentue les rides, modifie la voix… autant d’éléments qui, dans une société où la féminité est codifiée, jouent contre les femmes fumeuses. Nombreux sont les hommes qui déclarent ne pas vouloir épouser une femme qui fume, associant cela à un manque de douceur ou de respectabilité.
Ce que révèle cette réalité, ce n’est pas une mode. C’est un besoin d’écoute, de liberté, de considération. Fumer n’est pas une revendication féministe en soi. Mais la manière dont la société réagit au geste d’une femme qui fume dit beaucoup du carcan dans lequel elle évolue.
Il est temps de sortir de la culpabilisation. Et de proposer des alternatives concrètes, adaptées, respectueuses.
*Le prénom a été modifié
Impossible d’ignorer l’impact du cinéma hollywoodien des années 1950 dans la construction de l’imaginaire autour de la cigarette. Sur grand écran, la femme fatale ne se déplaçait jamais sans son porte-cigarette, les lèvres rouges et le regard charbonneux. Marlène Dietrich, Ava Gardner, Lauren Bacall ou encore Rita Hayworth ont toutes contribué à façonner une esthétique du tabac associée à la séduction, au mystère, au pouvoir silencieux.
Ce glamour noir et blanc a laissé une empreinte durable : la cigarette y devient un accessoire de mise en scène, un langage du corps, un moyen de captiver sans dire un mot. Même aujourd’hui, cette esthétique survit dans les clips, les séries, la mode éditoriale. Mais derrière le fantasme, les risques restent bien réels.
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