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Trafic d’or et de devises : pourquoi des femmes prennent de tels risques en Algérie ?

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Dans une actualité qui fait froid dans le dos relayé par le site TSA-Algérie, trois femmes ont été arrêtées au poste frontalier d’Al Ayoun, à El Tarf, alors qu’elles tentaient de quitter l’Algérie vers la Tunisie avec 127 000 euros et près de 3 kg d’or… dissimulés dans leurs intestins. Cette affaire, qui défraie la chronique, met en lumière une facette méconnue du trafic transfrontalier, et pose une question essentielle : qu’est-ce qui pousse ces femmes à franchir de telles limites, au péril de leur santé et de leur avenir ?



L'économie parallèle : un espace de survie pour certaines femmes

En Algérie, la contrebande et les circuits informels ne datent pas d’hier. Le manque d’emplois stables, la dévaluation continue du dinar, et l’inflation galopante poussent une partie de la population à se tourner vers des alternatives illégales. Si, historiquement, les trafics ont souvent été associés à des hommes, de plus en plus de femmes y trouvent un moyen de subsistance.

Dans les villes frontalières comme El Kala ou Maghnia, ces zones de non-droit économique sont devenues des terrains de jeu dangereux pour des femmes en quête de ressources rapides. Il ne s’agit pas toujours de grands réseaux mafieux, mais parfois de mères de famille, de jeunes sans avenir professionnel, ou de femmes en situation de détresse financière. Pour certaines, le trafic devient un acte de survie.

Quitter le pays à tout prix ?

Le profil des trois femmes arrêtées révèle un autre motif sous-jacent : le désir de partir. Quitter l’Algérie, fuir une société perçue comme bloquée, étouffante, sans perspectives. Pour celles qui en ont les moyens ou les opportunités, l’expatriation est une échappatoire. Mais pour d’autres, le prix à payer est bien plus lourd. Lorsque le visa se refuse, que l’ambassade ferme ses portes, que l’avenir se rétrécit, alors certains choisissent la voie de l’illégal. La Tunisie, si proche, devient une passerelle vers d’autres continents — ou du moins vers un ailleurs supposé plus clément.

Transporter de l’or et des devises dans son corps, au mépris des risques sanitaires, témoigne d’un désespoir silencieux. Une tentative extrême de reprendre le contrôle sur une vie perçue comme figée. À travers ces femmes, ce n’est pas simplement un délit que l’on observe, c’est une détresse sociale.

Le corps comme ultime cachette : entre humiliation et stratégie

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la méthode : dissimuler des rouleaux d’argent et de l’or fondu dans ses intestins. Une pratique d’une violence symbolique, souvent associée aux mules des cartels. Le choix de cacher la richesse à l’intérieur du corps féminin n’est pas anodin : il révèle à la fois la vulnérabilité de ces femmes et l’instrumentalisation de leur corps comme outil de transport, comme monnaie de passage.

Ce geste, qui évoque à la fois l’humiliation, la transgression, et l’ultime ruse, interroge : dans une société où le corps des femmes est constamment contrôlé, jugé, normé, que signifie le fait de le transformer en véhicule clandestin ? Est-ce une forme de désespoir ? Ou un acte de défi face à l’ordre établi ?

Dans l’imaginaire collectif algérien, les femmes sont rarement associées aux activités illicites, à l’exception de la sorcellerie. Et lorsqu’elles y apparaissent, c’est souvent avec stupeur, voire déni. Or, cette affaire, comme tant d’autres passées sous silence, montre que les femmes ne sont pas épargnées par la corruption du tissu social. Elles y participent, parfois activement, souvent contraintement. Elles sont invisibilisées dans les récits, et pourtant elles existent dans les faits.

Pour autant, il ne s’agit pas de glorifier ou de justifier ces choix. Il s’agit de comprendre ce qu’ils disent de notre société : une société où la précarité ronge les plus vulnérables, où les frontières ne protègent plus, et où les femmes, malgré les injonctions morales, s’approprient des voies interdites pour survivre ou rêver.

Quand l’économie noire épouse la détresse féminine

Les témoignages recueillis sur d'autres affaires similaires montrent un schéma récurrent : des femmes souvent recrutées par des passeurs, séduites par des promesses d’argent rapide, de départ à l’étranger ou de reconversion. Beaucoup ignorent les risques pénaux encourus ou les minimisent, pensant que leur genre les protégera des soupçons. Or, la justice algérienne est de plus en plus ferme sur ces questions, notamment depuis la flambée du marché noir de la devise.

Cette fermeté est compréhensible au vu de la gravité des faits : atteinte à l’économie nationale, blanchiment, évasion de richesses. Mais elle ne peut occulter le besoin d’une réflexion plus profonde sur les causes : chômage massif des femmes, marginalisation économique, manque de formation, absence de perspectives, pression sociale sur le mariage ou la réussite familiale…

Quel avenir pour ces femmes ?

Les femmes arrêtées seront sans doute jugées, peut-être condamnées. Mais au-delà de la peine, que leur proposera-t-on ? Un retour à la case départ, à la stigmatisation, à la précarité ? Ou bien une prise en charge, une écoute, une tentative de réinsertion ? Rien n’est moins sûr. La société algérienne n’est pas encore prête à aborder la délinquance féminine autrement que par la honte et la sanction.

Et pourtant, c’est bien dans cet angle mort que se jouent les réalités les plus crues de l’Algérie d’aujourd’hui. Là où le corps des femmes devient réceptacle de fortunes interdites, là où le désespoir épouse la ruse, là où l’instinct de survie efface parfois la peur du déshonneur.

Cette affaire n’est ni isolée, ni anodine. Elle met à nu les failles d’un système, d’une économie parallèle florissante, et d’une société où les femmes, loin d’être uniquement des victimes passives, sont aussi parfois actrices, stratèges, et rebelles. Comprendre leurs motivations, c’est commencer à réparer les fractures d’une nation en quête d’équilibre.





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