dziriya · 8 janvier 2007 à 19:11
[color=#008000] Traditions culinaires, facteurs de rapprochement
Le tadjine dans toute sa diversité
Le tadjine, selon qu'il est algérois, oranais, kabyle, constantinois, n'est pas le même. Et à ce sujet, nous avons recueilli beaucoup de précisions auprès d'un groupe de vieillards qui paraissent avoir acquis beaucoup d'expérience dans le domaine de la cuisine traditionnelle à la faveur de nombreux voyages effectués à travers le pays où très souvent, au fil des pérégrinations ils ont eu le privilège de se faire inviter par l'habitant ou de manger dans les petits restaurants qui ne se sont pas livrés à un commerce effréné de la nourriture en négligeant le côté qualité et symbolique de la cuisine des humbles.
Le tadjine, une tradition régionale et un symbole
Dans chaque région, comme si chacun a le sentiment de rentrer dans une compétition culinaire, on a toujours essayé d'améliorer les recettes ancestrales, d'ajouter des touches personnalisées, d'être communicatif en faisant l'effort de donner envie de manger.
Prenons comme exemple celui qui paraît être le plus ancien, le tadjine aux pommes de terre, même s'il est fait simplement. C'est l'un des participants à une discussion qui a donné à chacun l'occasion de s'évaluer et d'évaluer les autres parties prenantes sur leur niveau de culture générale et de la culture culinaire en particulier.
Le témoin au visage ridé sous le poids des ans, affirme avoir donné des signes de prédisposition à la cuisine, dès sa prime enfance. «Ayant beaucoup observé ma mère, lorsqu'elle préparait le tadjine, je me suis mis moi aussi à en faire, à partir d'ingrédients simples : pomme de terre, poivre, huile, tomates. Il n'y avait ni oignons que je détestais, ni viande. Les pommes de terre que j'y mettais étaient cultivées avec soin par mes parents, dans une terre fertile. Elles étaient petites, à la peau très fine ; aussi, elles acquéraient à la cuisson un goût exquis. A chaque fois que je m'adonnais à cette passion, je m'efforçais de répéter les gestes de ma mère qui faisait le tadjine pour la famille. On n'était pas des pauvres, mais des humbles parmi d'autres ; malgré l'insuffisance des moyens, on arrivait à alterner couscous, tchektchouka, berboucha. On avait ce privilège de bien travailler une terre héritée de nos ancêtres et de disposer d'une quantité d'eau suffisante pour arroser nos légumes. Quand ma mère faisait le tadjine, on était heureux. Il me suffit d'en reparler pour retrouver le souvenir de cette pomme de terre fondante assaisonnée de basilic et accompagnée d'oignons, de tomates. Quant à la viande, on n'en mangeait qu'à l'occasion des fêtes religieuses. C'est de cette façon que j'ai exercé toute ma vie le métier de cuisinier. »
Les bons plats, facteurs de rapprochement
Et chacun, prenant du plaisir à entendre raconter, essaie de mettre en valeur ce qu'il y a d'original dans la manière de cuisiner d'une région ou d'une autre. Tout le monde est ébahi par les propos d'un vieil instituteur qui a exercé dans une toute petite ville de l'Ouest. Il venait de l'Est, et la courtoisie ainsi que l'esprit d'hospitalité des gens de l'Ouest qui l'invitaient souvent à venir se mettre à leur meïda.
«J'avais alors acquis, surtout pendant le mois de Ramadhan, l'idée selon laquelle le repas peut rapprocher les individus de toutes les origines. L'appellation «le repas du partage» s'est vite imposée à moi. Moi, qui ne connaissais que le tadjine aux pommes de terre, je découvrais avec beaucoup d'admiration pour ceux qui l'avaient inventé et préparé avec talent, le tadjine el berquq. Cela s'est passé dans une régions d'arbres fruitiers et d'élevage.
Le tadjine el berquq dans quelques localités est un plat de fêtes, comme le couscous ailleurs. Il est fait à base de viande et de prunes abondantes et de meilleure variété. Pendant la récolte qui s'étale sur des semaines, on mange le fruit comme dessert ou à tous les moments. Et comme il y avait toujours une surproduction, étant donné la générosité des pruniers, l'excédent était mis à sécher selon des techniques acquises de bouche à oreille. C'était surtout les noires, charnues et très succulentes, qui faisaient l'objet de conservation pour le reste de l'année. Ainsi, en toutes saisons, on pouvait s'offrir un tadjine el berquq.
Celui qui nous a pleinement convaincus que le plat régional peut être un facteur de rapprochement, c'est bien Mohamed Dib qui, de son vivant, s'est distingué par ses qualités de bon cuisinier. La littérature qu'il a pratiquée avec brio au point d'être reconnu comme l'auteur le plus prolifique, ne l'a pas empêché d'être aussi un bon cuisinier.
De jeunes écrivains algériens du début des années 90 l'ont rencontré dans un colloque auquel tout le monde avait été convié. C'est un homme de grand talent pour qui il n'y avait pas de frontières entre les arts, ni entre les hommes de toutes les couleurs. Ajoutez à cela sa sympathie et son sens de l'humanisme.
« Il nous a invités à manger chez lui le lendemain de notre rencontre hautement symbolique et nous avons été sidérés de le trouver lui-même en tablier de cuisine qu'il s'était mis en cette circonstance pour nous préparer un tadjine sfardjel, spécialité tlemcénienne et marocaine. C'est ce qu'on appelle le ragoût de coings qui était si bon à manger qu'on va en être marqués à vie », dit Tahar Djaout.
La cuisine qu'il a appris à pratiquer avec art doit être appelée «la cuisine du lien» tant elle est capable de créer une amitié et toutes sortes de sentiments qui incitent à aimer les autres au lieu de les haïr.
Que le tadjine soit à base d'aubergine, de pommes, de poires ou de n'importe quel autre fruit, il faut le considérer comme une preuve de capacité de créativité, aussi bien chez les citadins que chez les gens de la campagne. Femmes ou hommes qui se sont distingués du commun des mortels par leur volonté de donner envie de manger, se sont attelés à une tâche difficile mais exaltante. D'abord, ils ont eu le mérite de travailler dans l'ombre pour mettre au point des recettes de tadjine qui plaisent aux consommateurs. Ils sont à l'image des écrivains, de la trempe de Mohamed Dib, qui ne font jamais une œuvre pour l'œuvre, mais une œuvre qui donne l'envie de lire ou de consommer, faire découvrir ce qu'on a toujours ignoré.
Comme dans la cuisine où tout a été inventé par la manière de faire cuire les ingrédients pouvant se compléter, de combiner des épices, de veiller au dosage de chaque produit, pour obtenir un plat, tous les autres domaines n'ont évolué que grâce à l'homme qui a beaucoup tâtonné, fait des erreurs avant d'arriver à des résultats concluants.
08-01-2007
Boumediene A.
La nouvelle république