À 36 ans, Sabri Mohamed Islam fait partie de cette nouvelle génération de créateurs algériens qui considèrent la mode comme un langage. Originaire d’Algérie, il a troqué les codes rigides du droit pour ceux, plus sensibles, de la couture. Son univers : un dialogue constant entre le désert et la ville, entre la tradition et une modernité presque futuriste, entre poésie et rigueur technique.

Avant d’être un métier, la mode a longtemps été pour lui une fascination silencieuse. Enfant, Sabri passait des heures à observer les étoffes, à imaginer des silhouettes, à transformer de simples morceaux de tissu en esquisses de personnages. La couture était déjà là, en filigrane, sans qu’il lui donne encore un nom.

« Le vrai déclic, c’est le jour où j’ai compris que la mode pouvait être une forme d’art, une façon de raconter des histoires, de célébrer l’identité et les émotions. Ce n’était plus juste une passion, c’était une nécessité intérieure. »

Cette prise de conscience change tout : la mode n’est plus un rêve lointain, mais un chemin à tracer, malgré les détours imposés par la vie.

Quitter le droit pour suivre la voie du cœur

Sabri a d’abord étudié le droit pendant quatre ans et travaillé six ans en entreprise. Un parcours classique, rassurant, mais qui le maintient à distance de lui-même. Dans les bureaux, il a la sensation de jouer un rôle écrit par d’autres.

« Je me sentais étranger à ce monde. J’avais l’impression de vivre la vie qu’on attendait de moi, pas celle que je désirais vraiment. La mode m’appelait sans cesse. »
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Collection "Miroir de mes nuits"

Un jour, il décide de ne plus étouffer cette voix intérieure. Il quitte la sécurité d’un emploi stable pour se consacrer à ce qu’il aime : créer. La couture devient sa vraie langue, une libération. Le prix du meilleur design créatif qu’il remporte récemment vient confirmer ce choix.

« Ce prix est une reconnaissance de mon travail, une preuve que suivre sa passion en valait la peine. Il m’a donné confiance, ouvert des portes et m’a motivé à aller encore plus loin. »

Une robe comme mirage du désert

La pièce qui l’a consacré met en scène une femme née du Sahara, figure de lumière et de vent. Sabri ne décrit pas une robe, il raconte une apparition.

« Dans l’immensité brûlante du Sahara, là où la terre se confond avec le ciel, naît une femme forgée de lumière et de vent. Son corps est drapé des couleurs de la vie : l’ocre des dunes, le vert des palmeraies, le bleu des mirages, l’or du soleil. »
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Création originale, une robe de soirée inspirée du Sahara

Les plis deviennent dunes, les dégradés évoquent les mirages, la broderie capture les éclats du soleil. Il imagine une héroïne qui incarne la renaissance au cœur du désert, la beauté qui persiste malgré la sécheresse, cette force tranquille qui sourd de la terre.

Le corset, une sculpture à porter

Dans l’univers de Sabri, le corset n’est pas seulement un vêtement, mais un manifeste. Il le réinvente notamment en résine, pièce signature qui mêle artisanat, sculpture et haute couture.

« Pour moi, le corset n’est pas un vêtement, c’est une métaphore. Il représente la rencontre entre la contrainte et la liberté. Il structure le corps, mais révèle aussi la force intérieure de celle qui le porte. »
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Corset en résine

Sabri commence par mouler le buste, puis coule une résine qu’il teinte selon la lumière qu’il veut capturer. Les couches s’accumulent, fines, presque liquides, avant d’être poncées, polies, rendues transparentes. Le résultat : une armure de verre qui reste étonnamment légère, pensée pour épouser le corps plutôt que le dominer.

« Je traite le corset comme une sculpture à porter. Je cherche toujours l’équilibre entre structure et confort, comme un bijou que l’on enfile sur la peau. »

Costumes de scène : des Fawazir à la série « La Gazette »

Si ses pièces de défilé ont la puissance de tableaux, c’est aussi parce que Sabri travaille pour la scène. Il crée des tenues de spectacles, des costumes artistiques et des robes de soirée, pensés pour dialoguer avec la lumière, la musique et la caméra.

Pour les Fawazir de Kenza Morsli, il signe trois tableaux forts : la Chine, le Japon et l’Afrique. Chaque tenue devient un décor à elle seule, une silhouette qui raconte un continent à travers les volumes, les couleurs et les détails. Broderies, symboles, jeux de drapés et d’épaulettes composent des personnages plus grands que nature, entre héroïne d’opéra et reine de légende.

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Fawazir avec Kenza Morsli, produit par la chaîne télévisée Samira TV

Sabri a également contribué aux créations de tenues pour la série « La Gazette ». Là encore, son travail consiste à donner une identité visuelle aux personnages : des vestes sculptées, des corsets graphiques, des robes pensées pour accompagner la narration autant que le jeu des acteurs. Sa mode quitte alors le podium pour entrer dans l’image, au cœur de la fiction.

DJISAM, une maison de couture sur mesure

Derrière ces silhouettes spectaculaires se cache une maison : DJISAM, sa marque de couture sur mesure. Sabri y conçoit chaque pièce comme un modèle unique, élégant et intemporel, loin de la production de masse. Rien n’est laissé au hasard : ni la coupe, ni la symbolique, ni la manière dont le vêtement accompagne le corps de celle qui le porte.

« Ma marque de couture sur mesure est dédiée à la création de pièces uniques, élégantes et intemporelles. Chaque création DJISAM est conçue comme une œuvre d’art : un équilibre subtil entre modernité géométrique, raffinement classique et touches artistiques inspirées par les symboles de la féminité, du luxe et de la singularité. »

Dans cet univers, les corsets en résine côtoient des robes de soirée drapées, des ensembles inspirés du costume traditionnel et des silhouettes sculpturales destinées aux spectacles. L’obsession est la même : créer des pièces qui traversent le temps tout en affirmant une personnalité très contemporaine.

Créer sans croquis : la forme avant le dessin

À rebours de la méthode classique, Sabri ne commence pas par remplir des carnets de dessins. Il préfère travailler directement en volume, sur le mannequin ou le corps. Le vêtement naît d’abord dans sa tête, puis dans la matière, avant même d’exister sur le papier.

Il visualise la silhouette, les lignes et les mouvements, puis laisse le tissu guider ses décisions. Cette approche intuitive donne à ses créations une spontanéité particulière, comme si chaque robe, chaque corset ou chaque veste avait été improvisé dans le moment, alors qu’ils sont en réalité le fruit d’un long travail intérieur.

Badroune, héritage réinventé

Si Sabri regarde vers l’avenir, c’est toujours avec un pied ancré dans la tradition. Sa pièce de cœur est le badroune, emblème de l’élégance algéroise.

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Badroune : Création originale signée Sabri Mohamed Islam
« Le badroune est ma pièce de cœur. J’admire sa richesse, son histoire, son raffinement. Je le modernise en jouant sur les proportions, les volumes et les matières : un badroune structuré sur un pantalon fluide, ou associé à un corset en résine. »

Cette manière de bousculer les codes sans les trahir est au centre de sa démarche : honorer la tradition tout en la propulsant vers l’avenir, faire dialoguer le passé et le futur sur un même corps.

Une vision entre identité, émotion et innovation

Ses inspirations voyagent de l’Algérie à Paris, de la Méditerranée aux podiums du monde. Sabri cite Yves Saint Laurent pour sa vision et son amour du vêtement, Alexander McQueen pour son audace et sa dramaturgie. Mais sa propre signature naît de sa sensibilité profonde à l’âme des femmes qu’il habille.

« Je veux dire que la beauté naît de la différence et de la vérité. Que chaque femme est une œuvre d’art, qu’elle porte en elle la force et la poésie du monde. »

Son ambition est claire : poursuivre ses études de mode en France, affiner sa technique, développer encore sa vision, se rapprocher de son rêve de devenir directeur artistique. Avec une conviction chevillée au corps : un créateur algérien peut allier identité, émotion et innovation, et rayonner bien au-delà des frontières.

« Je veux être un pont entre la tradition et la modernité, entre l’Algérie et le monde, entre l’art et la vie. »

Dans le sillage de Sabri Mohamed Islam, le désert n’est plus seulement un paysage : il devient matière, lumière et récit. Et chaque robe, chaque corset de résine, chaque badroune métamorphosé raconte l’histoire d’un créateur qui a choisi de suivre la voie de son cœur, coûte que coûte.