Dans bien des foyers algériens, le mariage ne relève pas seulement du sentiment : il s’inscrit aussi dans une logique de transmission et d’alliance. Unions entre cousins, proches parents ou avec double liens familiaux, parfois valorisées pour préserver l’héritage, la cohésion et la lignée, demeurent une réalité culturelle. Sans nier ces logiques, il est utile de rappeler les enjeux de santé publique documentés par l’OMS : les mariages consanguins accroissent le risque de malformations et de maladies génétiques chez l’enfant (fiche OMS : anomalies congénitales).
Même si les dernières grandes études datent de la période 2006-2007 (menée par la FOREM (Fondation nationale pour la promotion de la santé), des chercheurs de l’Institut Pasteur d’Algérie et d’autres centres médicaux publics continuent de signaler un taux entre 33 et 40 % de mariages consanguins selon les régions. Les wilayas les plus touchées restent Tébessa, Batna, Ghardaïa, Adrar et Tamanrasset avec des pics atteignant plus de 80 % dans certaines communes comme Bir El Ater (Tébessa).En 2025, si la tendance recule légèrement dans les grandes villes, elle reste fortement ancrée dans les zones rurales, du Sud et de l’Est algérien. Les motivations principales ?
L’étude de la FOREM dresse un constat sans appel : la consanguinité augmente nettement la probabilité d’affections génétiques chez les enfants. Les médecins évoquent, entre autres, des anomalies du développement neurologique et des maladies héréditaires graves. Ainsi, des pathologies comme l’hydrocéphalie ou l’hémophilie apparaissent beaucoup plus souvent dans ces unions, tout comme la myopathie de Duchenne, certaines atteintes neurologiques et des anémies congénitales telles que la thalassémie ou la drépanocytose. Les risques de maladies autosomiques récessives doublent également, ce qui expose davantage aux maladies comme la mucoviscidose, le syndrome de Tay-Sachs, certaines formes de surdité héréditaire, des retards mentaux congénitaux et des atrophies musculaires progressives. Ces chiffres — hydrocéphalie jusqu’à treize fois plus fréquente, hémophilie onze fois, myopathie de Duchenne huit fois, troubles neurologiques sept fois, anémies congénitales trois fois — ne sont pas de simples abstractions : ils se traduisent par des vies bousculées et des trajectoires familiales plus fragiles.
« Dans mon cabinet, je rencontre des couples aimants qui n’avaient jamais été informés, confie Dr L., généticienne. Une consultation prénuptiale ou préconceptionnelle, même brève, change tout : on identifie les risques, on propose un dépistage adapté et on oriente vers un suivi éclairé. » Même écho du côté des familles : Samira, maman d’un petit garçon atteint d’une anémie héréditaire, raconte avoir découvert trop tard l’existence de tests simples qui auraient permis d’anticiper. « Nous aurions préféré savoir, pour choisir en connaissance de cause et organiser l’arrivée de notre enfant. »
Au-delà des chiffres, l’enjeu est donc l’accès à une information claire et bienveillante. Parler de consanguinité sans jugement, expliquer les mécanismes génétiques, orienter vers le conseil et le dépistage, c’est offrir aux couples la possibilité de protéger leur avenir familial. Beaucoup de ces maladies sont lourdes, parfois incurables ; nombre d’entre elles auraient pu être évitées ou mieux prises en charge grâce à une information prénuptiale et un accompagnement génétique précoces. Informer, c’est déjà agir.
Les couples consanguins ont deux fois plus de chances d’avoir un enfant atteint d’une maladie héréditaire rare, même s’ils ne présentent eux-mêmes aucun symptôme. Mais le plus inquiétant est que les enfants de ces enfants (c’est-à-dire les petits-enfants) courent également un risque accru, surtout si le schéma consanguin se répète sur plusieurs générations.
Dans les maternités et les cliniques pédiatriques, le constat est amer. « Il ne s’agit pas de juger, mais d’informer », affirme le Dr L. Amrani, pédiatre à Alger. « Un simple test génétique peut éviter à un couple d’avoir un enfant porteur d’une maladie héréditaire. »
Malgré l’abondance de preuves, le sujet demeure enveloppé de silences. Dans beaucoup de foyers, un déni tenace s’installe : admettre qu’un mariage au sein du même lignage peut fragiliser la santé des enfants heurte les habitudes, les loyautés familiales, parfois l’honneur. La phrase tombe, implacable : « On a toujours fait ainsi. » Ce réflexe culturel protège le lien social… mais il éteint la discussion médicale. Or, parler n’est pas juger : c’est donner aux couples les moyens d’anticiper, de dépister, d’accompagner.
Ailleurs, les mentalités évoluent. En Tunisie, en Égypte, aux Émirats, des campagnes sobres et factuelles ont fait bouger les lignes : consultations préconceptionnelles, messages clairs dans les médias, relais par les imams et les médecins de terrain. Les résultats ne sont pas spectaculaires du jour au lendemain, mais ils existent : plus d’information, moins de risques évitables, davantage de choix éclairés. L’Algérie peut s’en inspirer : initier un dialogue respectueux, former les soignants, associer les leaders communautaires.
Face à une prévalence dépassant 50 %, l’Arabie Saoudite a instauré un test génétique obligatoire pour tout couple avant le mariage depuis 2004. Résultat ? Des milliers de mariages à haut risque ont été annulés, sauvant ainsi de nombreuses vies.
Contrairement à certains pays du Golfe ou du Maghreb, aucune loi en Algérie n’oblige à passer un test de compatibilité génétique avant le mariage. La décision reste personnelle, souvent influencée par le poids social ou le refus de "froisser" la famille.
Le sujet est peu abordé dans les médias publics, et rares sont les émissions TV ou campagnes grand public qui évoquent clairement les risques. Pourtant, les réseaux sociaux commencent à jouer un rôle crucial, notamment via des témoignages de médecins, sages-femmes et familles endeuillées.
Le mariage entre proches ne doit pas être diabolisé, mais éclairé par la science. Il ne s’agit pas de renier une culture, mais de protéger les générations futures.
En parler, c’est aimer. Prévenir, c’est protéger. Parfois, rompre avec une tradition peut être le plus bel acte d’amour qu’on offre à son enfant.
| Pathologie | Prévalence (mariages non-consanguins) | Prévalence (mariages consanguins) | Risque multiplié par |
|---|---|---|---|
| Hydrocéphalie | 1 pour 10 000 | 13 pour 10 000 | x13 |
| Hémophilie | 1 pour 5 000 | 11 pour 5 000 | x11 |
| Myopathie de Duchenne | 1 pour 3 600 garçons | 8 pour 3 600 | x8 |
| Troubles neurologiques graves | 1 pour 1 000 | 7 pour 1 000 | x7 |
| Anémies héréditaires (thalassémie, drépanocytose...) | 1 pour 1 000 | 3 pour 1 000 | x3 |
| Trisomie 21, bec de lièvre, cardiopathies congénitales | Cas isolés | Cas plus fréquents | x ? (non quantifié précisément) |
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