Je m'appelle Lina je suis originaire de Tipaza et je vis à Alger, j'ai 40 ans. Je me suis mariée à l'âge de 28 ans, mon diplome de pharmacienne en poche. Malgré ce précieux sésame pour lequel j'ai tout sacrifié, je n'ai jamais pu travailler, à sa demande. Première d'une longue liste d'erreur ! J’ai trois enfants et j’attends le quatrième. Mais il y a quelques jours de cela, ma vie vient d'être chamboulé, je vous raconte.
Ce jeudi-là, entre deux nausées et un petit-déjeuner à peine entamé, j’ai découvert l’impensable. Je n’avais jamais touché à son téléphone. Jamais. Ce n’est pas mon genre, je lui fais confiance, les yeux fermés. Mais ce matin-là, allez savoir pourquoi, mes doigts ont agi sans mon cerveau. Un instinct, peut-être. Ou une intuition trop longtemps étouffée.
Un simple message s’est affiché sur l’écran. Une notification anodine, signée de son frère : « N’oublie pas qu’elle est enceinte, vas-y molo. » Mon cœur s’est figé. Une sensation brûlante, acide, m’a traversée. J’ai déverrouillé l’écran. Lentement. Mécaniquement. Et j’ai commencé à lire.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre. Juste un long message. Un seul. Mon mari y écrivait à son frère avec une assurance qui m’a glacée : « Je suis sûr de moi. Je ne peux pas vivre sans elle. Je dois juste trouver le bon moment pour le lui annoncer, mais ma décision est prise. Quoi qu’il arrive, je vais l’épouser. »
J’ai senti mon ventre se contracter avant même que mon esprit comprenne. Une douleur sourde, violente, qui ne venait pas du bébé mais de moi, tout entière. Douze ans de mariage. Douze ans de lessives, de corvées interminables et mécaniques, de nuits blanches à bercer nos enfants, de silences avalés pour préserver l’équilibre. Douze ans à construire une maison, une routine, une vie. Et en une phrase, cette vie est devenue bancale, étrangère, presque grotesque.
J'attends patiemment son retour et quand il me voit, il sait que je sais. Je n'ai même pas besoin de parler. Et là, croyant me soulager, il m’a dit : « Je ne te quitte pas. Je t’aime toujours. Mais je n fais rien de mal, j’ai le droit. La loi me le permet. » Et il pensait que cela allait suffire. Que de me brandir un article de code civil allait apaiser le feu qu’il venait d’allumer dans ma poitrine. Je l’ai regardé comme on regarde un inconnu qui vous annonce qu’il va emménager chez vous. Avec ses valises et son amour ailleurs.
Derrière cette décision ferme et inhumaine, il y avait une femme. Déjà là. Déjà aimée. Déjà installée dans une partie de son cœur que je croyais mienne pour toujours.
Je n’ai pas crié. Pas tout de suite. Je crois que mon cœur s’est figé. C’est mon regard qui a hurlé, qui a dit : Comment as-tu pu ? Il a eu cette phrase, la pire de toutes : « Elle est différente de toi. Elle m’écoute. Elle ne me juge pas. Elle me fait me sentir vivant. » Et moi, alors ? Moi, j’étais quoi ? Une servante ? Une machine à enfanter ? Une chaise sur laquelle il se repose entre deux passions ?
Je me suis enfermée dans notre chambre. Je me suis assise par terre, dos contre le lit. Mon ventre arrondi me pesait d’un poids nouveau. J’ai pensé au bébé. À mes trois enfants dans la pièce d’à côté. Et puis à moi. À celle que j’étais avant lui, cette jeune femme ambitieuse et studieuse, fierté de ses parents. Celle qui croyait au grand amour. Celle qui avait accepté les compromis. Celle qui avait mis son rêve d'ouvrir une pharmacie de côté pour le suivre, pour l’épauler, pour l’aimer comme on aime une seule fois dans une vie.
Le soir, j’ai attendu qu’il dorme. Et j’ai pleuré. Pas un sanglot bruyant. Des larmes lentes, silencieuses, comme si elles s’excusaient d’exister. J’ai regardé mes mains. Celles qui avaient massé ses épaules, préparé les cartables, nettoyé les blessures de nos enfants. Et je me suis demandé : dois-je partir ? Est-ce ça, mon destin ? Être remplacée sans même être quittée ?
Je suis allée voir ma mère. Elle m’a dit : « Ma fille, tu es enceinte. Ce n’est pas le moment de tout chambouler. Tu es la première épouse, la mère de ses enfants. Il ne pourra jamais t’oublier. » Et moi, je voulais hurler : je ne veux pas être un souvenir, je veux être un choix ! Je ne veux pas qu’on me garde par devoir. Je veux qu’on me regarde encore comme la femme qu’on a désirée, qu’on a choisie, qu’on a aimée.
Mais est-ce qu’on a le luxe de partir quand on est enceinte ? Quand trois petits êtres dépendent de vous ? Est-ce qu’on peut vraiment claquer une porte quand on sait que derrière, il y aura une autre femme, bien coiffée, bien maquillée, qui prendra votre place au salon, au lit, dans ses bras ?
Pour l'instant je suis toujours là, je l'ignore mais je suis là. Je le regarde comme on regarde un homme qui ne vous appartient plus. Il est présent, attentionné, mais absent. Il agit comme un chef de famille froid et rigide, il n'y a plus cette complicité qu'on a toujours eu. Il a cette distance que seuls les amants infidèles savent cultiver. Finalement je me rends compte qu'il est ainsi depuis plusieurs mois, j'en prends conscience. Je vis dans ce vide, cette attente qu’il revienne à moi… sans oser le lui demander, je me deteste à vouloir espérer qu'il retrouve ses esprits. Trop de fierté. Trop d’amour blessé.
Puis, ce matin, je me suis regardée dans le miroir. Mes traits étaient tirés, mes cernes creusés. J’ai posé ma main sur mon ventre et je me suis dit : tu mérites mieux que cette douleur. J’ai préparé un petit sac. J’ai pris mes enfants. Et je suis allée passer quelques jours chez ma sœur. Pas pour fuir. Pour respirer. Pour réfléchir. Pour me reconstruire un peu, même avec une faille béante.
Je ne sais pas encore si je vais partir pour de bon. Le dilemme est là, immense. Partir, c’est affronter un monde dur, une société qui culpabilise les femmes qui disent non. Rester, c’est mourir un peu chaque jour, avaler sa dignité à la petite cuillère. Alors j’attends. Je soigne mes plaies. Je prends soin de ce bébé qui pousse dans mon ventre, fruit d’un amour qui vacille. Et j’écris, pour me rappeler que je suis encore debout. Que je suis plus qu’une épouse blessée. Que je suis une femme, une mère, une âme entière. Et qu’un jour, je ferai le choix. Le mien.
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