Il y a, dans les hauteurs majestueuses de Constantine, à travers ses ponts suspendus, une robe qui raconte plus que la beauté. Une robe qui murmure l’histoire des femmes, des mères, des artisans et du fil d’or. On l’appelle la gandoura constantinoise. Et elle n’est pas un simple vêtement. Elle est un monde.
Dans l’ancienne Cirta, bien avant qu’elle ne devienne Constantine, les femmes s’enveloppaient déjà dans des étoffes amples, flottantes, portées hautes sur la dignité et la pudeur, semblable à la mlahfa. Puis vint Byzance, puis l’Islam, et plus tard encore, l’Espagne. Chaque époque, chaque peuple y déposa une nuance, un fil, un motif.
Mais ce sont les Andalous, chassés d’Espagne au XIIIᵉ siècle, qui donneront à la gandoura sa structure contemporaine : une robe longue, sans manches, au plastron central brodé, un col en cœur et une silhouette majestueuse. À Constantine, cette robe devint l’expression d’un art de vivre, d’un raffinement cultivé dans les maisons aux balcons ouvragés.
La gandoura se reconnaît au premier regard. Cette tenue d'apparât occupe une place majeure dans le patrimoine culturel algérien. Elle se décline en velours épais, souvent rouge foncé, noir ou émeraude. La coupe est droite, ample, glissant le long du corps jusqu’à frôler les chevilles. Mais c’est le plastron, ce rectangle central descendant de l’encolure à la taille, qui en est le cœur battant. Là se concentre toute la broderie, tout l’art de la patience, tout l’amour des mères.
Les brodeuses constantinoises dessinent, au fil d’or ou d’argent, des arabesques, des palmettes, des roses stylisées, des cyprès peut-être, tout un jardin sur velours. Deux techniques règnent dans l’ornement : la fetla, où le fil d’or ou d’argent torsadés sont couchés à la surface, et le medjboud (littéralement « broderie aux points tirés »), plus complexe, où les motifs prennent du relief, fait appel à des pièces d’étoffe ou de cuir pré-découpées, appliquées sur le velours puis retenues par des points de fil lancé, créant ainsi des motifs pleins en relief. Ces broderies sont souvent parsemées de sequins ou paillettes métalliques fixées par un fin fil d’or spiralé, appelé l’alcantil, qui scintillent à la lumière.
Dans les ruelles de Constantine, il existe encore des maisons où les femmes brodent. Des gestes anciens, transmis de mères en filles. Le velours se tend, les fils se nouent, les motifs prennent vie sous les doigts. Ce sont des brodeuses anonymes, parfois réunies dans des ateliers familiaux, parfois formées dans des écoles privées ou protégées par des associations patrimoniales. Des ateliers familiaux de broderie perpétuent ces techniques anciennes : le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) note que les savoir-faire associés sont transmis tant dans des centres de formation et écoles privées que de manière informelle au sein des familles.
Leur mission ? Sauvegarder l’art. Et leur œuvre ? Des robes de lumière. Des robes qui ne se fanent pas.
On ne porte pas la gandoura constantinoise n’importe quand. Elle est la parure des grands jours. Mariages, hennés, fiançailles, Aïd, cérémonies nationales. Lors du mariage, la jeune fiancée la porte avec fierté. Elle est ceinturée de louis d’or, parée de bijoux, parfois coiffée d’un djémah ou d’une coiffe ancestrale. Le tissu épouse les gestes, le fil capte la lumière, et la mariée devient reine.
Et ce jour-là, dans les yeux de la grand-mère, dans ceux de la mère, c’est toute une généalogie qui resplendit. Car la gandoura n’habille pas qu’un corps, elle porte une mémoire.
En 2024, la gandoura constantinoise entre officiellement dans l’histoire universelle. L’UNESCO la reconnaît comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Un hommage à ces femmes, ces aiguilles, ces fils, ces motifs millénaires qui racontent l’Algérie par la soie et le velours.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans les ateliers de Constantine, mais aussi à Alger, Paris ou Dubaï, des stylistes algériens reprennent la gandoura. Ils la modernisent, jouent avec les couleurs, allègent les tissus, stylisent les broderies. Mais toujours, ils gardent l’essence : la coupe longue, le plastron, le velours ou son esprit.
Les maisons comme Menouba ou Karim Kadid la font revivre pour les défilés, les cérémonies, les shootings éditoriaux. Des versions modernes en blanc ivoire, en rose poudré ou en vert céladon apparaissent. Et dans leurs plis, le souffle ancien est toujours là.
Chaque gandoura est unique. Par sa broderie. Par sa coupe. Par la femme qui la porte. Elle peut être héritée d’une mère, offerte par une tante, cousue à la main pour une première-née. Elle peut être classique, exubérante, minimaliste. Mais elle reste toujours, profondément, une déclaration d’amour à Constantine.
La gandoura constantinoise est bien plus qu’un vêtement. Elle est une œuvre d’art. Une archive vivante. Une résistance textile. Une poésie cousue à la main. Elle est ce qui relie les femmes d’hier à celles d’aujourd’hui, les ruelles de la Casbah aux podiums internationaux, la pudeur à la fierté.
Et tant qu’il y aura des femmes pour la porter et des mains pour la broder, la gandoura constantinoise continuera de rayonner. Comme une étoile d’or sur un ciel de velours.
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