Parmi les bijoux traditionnels algériens, le kholkhal occupe une place à part. Porté autour de la cheville, cet anneau en argent ou en or n’est pas seulement un ornement : il est chargé de symboles, de transmission et d’identité. Présent dans toutes les régions du pays, du Nord aux confins du désert, il raconte une histoire qui traverse les générations, entre héritage culturel, codes esthétiques et affirmations personnelles. Même s’il n’est pas aussi populaire que le khit errouh ou le Krafach Boulahya, le kholkhal conserve une place particulière dans le cœur des Algériennes. Il séduit autant par sa valeur artisanale que par ce qu’il incarne : une certaine idée de la féminité algérienne, à la fois ancrée et intemporelle.
À Constantine, le kholkhal s’invite dans les salons feutrés, rythme les pas des femmes parées de katifa brodée d’or. Là, il n’est jamais seul : il dialogue avec le mejboud, accompagne la lenteur majestueuse des cérémonies, ponctue chaque geste d’une note sonore presque rituelle. Héritier des fastes ottomans, mais aussi des racines amazighes, il se transmet comme un poème gravé à même le métal.
À Annaba, l’empreinte des orfèvres juifs est encore visible dans les ateliers de bijoutiers. Leïla, l’une d’elles, se souvient : « Ma grand-mère me disait que le kholkhal chantait l’âme des femmes. Quand elle marchait, c’était comme une déclaration de liberté. » Dans cette région, les orfèvres Cohen, Haïm ou Abécassis signaient leurs pièces d’un symbole : papillon, poisson, oiseau. Le kholkhal y devenait presque un talisman intime, un bijou codé, chargé de mémoire et de spiritualité.
Chez les Chaouies, le kholkhal prend une dimension quasi sacrée. Sculpté en argent massif, il arbore des motifs en forme de serpent, souvent ouvrant la gueule à chaque extrémité. « C’était une armure invisible », explique Nouria, originaire de Batna. « Une protection transmise de mère en fille contre les mauvais esprits. » Les écailles, les dents, les torsades… tout est codé, rien n’est décoratif. Il incarne la force, la garde, le mystère.
À Ghardaïa, le kholkhal devient une leçon d’ingénierie discrète. Deux plaques épaisses d’argent soudées avec minutie, reliées par une goupille centrale ciselée, souvent en métal précieux. Moins démonstratif que dans le Nord, il est austère, presque monastique. Mais dans son dépouillement réside une noblesse silencieuse. Chez les Mozabites, on dit qu’il faut une vie pour apprendre à le faire… et deux générations pour en comprendre le sens.
Dans les plaines de Naâma, de Bechar ou de Tlemcen, le kholkhal se fait plus massif, plus terrien. Là, il est taillé à même le lingot, martelé, parfois même buriné. Les motifs — géométriques, solaires ou tribaux — dialoguent avec le vent et la roche. Il accompagne les danses traditionnelles, fait vibrer les sols lors des mariages, résonne avec la terre plus qu’avec la parure.
Longtemps rangé dans les coffres ou offert comme dot, le kholkhal connaît aujourd’hui une renaissance discrète mais assumée. Certaines créatrices algériennes audacieuses, à Alger, Oran ou Sétif, le revisitent en version plus fine, parfois dorée à l’or rose, parfois revisitée en version contemporaine pour les mariages ou les shootings mode.
« Quand je marche, il me rappelle d’où je viens », confie Yasmina, jeune joaillière algéroise. « Ce n’est pas de la nostalgie. C’est de la fierté. » Les pas sont peut-être foulés de béton, mais le son du kholkhal continue d’accompagner les battements de cœur de celles qui se tiennent debout.
Le kholkhal, dans toutes ses formes — ouvert, fermé, lisse ou martelé — demeure un bijou qui se lègue. Il se donne, se reçoit, se garde. Il ne suit pas les modes, il traverse les époques. Il n’appartient ni à une région, ni à une tribu. Il est algérien dans son essence, multiple dans ses expressions. Et c’est peut-être cela, sa plus belle définition.
Un cercle d’argent pour des femmes d’or. Une mémoire à fleur de peau. Une poésie en mouvement.
Aucun commentaire pour le moment... Et si vous ouvriez le bal ? Votre avis compte, partagez-le avec nous ! Pour cela, rien de plus simple, connectez-vous en cliquant ici