L’histoire de Aïn El Fouara commence en 1894, lorsque le conseil municipal de Sétif décide de reconstruire une ancienne fontaine menaçant ruine. En 1896, lors d’un voyage à Paris, le maire obtient du directeur des Beaux-Arts une statue signée Francis de Saint-Vidal, exposée au Salon universel avant d’être envoyée en Algérie. Arrivée à Sétif en novembre 1898, l’œuvre devient rapidement un symbole local. Depuis, elle offre son eau limpide aux passants, été comme hiver.
Mais depuis les années 1990, Aïn El Fouara est aussi devenue un objet de polémique. La statue de marbre blanc, représentant une femme nue, suscite régulièrement des réactions contrastées. Pour certains, elle incarne une œuvre d’art à part entière, témoin d’un passé architectural et artistique riche, un héritage qui mérite d’être protégé. Pour d’autres, sa nudité est perçue comme une provocation, un anachronisme en décalage avec certaines sensibilités culturelles ou religieuses.
Ces divergences ont alimenté un débat plus large sur la place de l’art dans l’espace public, sur les limites de la tolérance esthétique et sur la manière dont une société en mutation peut cohabiter avec les traces de son passé. À chaque épisode de vandalisme, la même question revient : faut-il restaurer à l’identique ou repenser la symbolique du monument ? Ce débat, loin d’être tranché, illustre les tensions entre mémoire, modernité, et diversité de visions au sein de la société algérienne contemporaine. Entre fascination, attachement, et rejet, Aïn El Fouara cristallise bien plus que son image : elle reflète les multiples lectures de l’histoire et de l’identité.
Et pourtant, à chaque tentative de destruction, les Sétifiens reconstruisent. Ils restaurent, ils protègent, ils pleurent mais ne renoncent pas. Car cette statue, brisée ou intacte, reste leur fierté. À travers elle, ils rappellent que l’identité algérienne ne se résume pas à une seule facette, mais à une mosaïque d’histoires et d’influences.
Aujourd’hui, les appels à la restauration de la statue se multiplient, et les autorités promettent une réaction ferme. Mais au-delà du marbre à recoller, c’est un travail de fond qu’il faudra engager : éduquer, sensibiliser, protéger ce patrimoine dans ce qu’il a de plus vulnérable : sa capacité à faire lien, à fédérer une mémoire collective. Face aux coups portés, certains répondent par la violence, d’autres par l’humour. En témoigne cette image largement partagée sur les réseaux, où Aïn El Fouara, plus humaine que jamais, semble adresser un doigt d’honneur à ses détracteurs. Le geste est provocateur, satirique, mais profondément symbolique : on ne fait pas taire un monument que les gens se sont approprié, aimé, et qu’ils défendront, même à coups de dérision.
Aïn El Fouara continuera sans doute à être visée. Mais elle continuera aussi à résister. Comme un miroir fidèle de l’Algérie, ses blessures n’effaceront jamais sa beauté.
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