merci les filles , si vous avez d’autres témoignages , n’hésitez pas
Article publié par I. T._ le soir d’Algérie 08/03/2008 Source
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/08/article.php?sid=65437&cid=2
QUAND LA PRISON NE SIGNIFIE PLUS LA FIN MAIS LE DÉBUT
Ghania … réapprendre à vivre
Chaque matin, du samedi au mercredi, Ghania, accompagnée de son frère qui l’attend à la sortie de la prison du Coudiat, se rend à l’université où elle est inscrite en première année de droit. Le soir, elle rejoint sa cellule qu’elle partage avec cinq autres femmes depuis qu’elle est arrivée il y a trois ans. Elle a décidé de faire de son épreuve un nouveau départ et forcer le destin afin que demain soit meilleur.
«Quand tu rentres en prison, la première fois, tu es toute bouleversée, tu ne sais pas ce qui se passe, tu entres dans un autre monde qui ne te semble pas réel car c’est dehors la réalité. Tu entres, tu ne veux parler à personne, tu es bien renfermée. La vie se termine». C’est en ces termes que Ghania, 32 ans décrit ses premiers jours dans la prison. Mariée de puis à peine une année, elle a été condamnée avec son mari à des peines respectives de 5 et 10 ans pour une affaire de détournement de fonds publics. Son mari était receveur principal dans une poste où elle travaillait comme secrétaire. Rien auparavant ne présageait ce devenir pour Ghania qui avait tout pour être heureuse : un mari amoureux, une belle maison et un travail. «Mais ma vie a été brisée le 6 février 2005 lorsque j’entendis la sentence du juge», a-t-elle expliqué avec amertume. «Les avocats n’ont pas déposé de recours au niveau de la Cour suprême, c’est pour cette raison que ma peine et celle de mon mari ont été très sévères», a-t-elle jugé. La jeune femme, coquette et pleine de vie, s’est retrouvée en prison. «Pour moi, c’était la catastrophe », dira-t-elle, les larmes aux yeux. C’est comme si le mot fin avec toute sa signification est venu s’incruster au bas de son conte de fées. Ghania est à la prison de Coudiat de Constantine depuis 3 ans déjà. «S’adapter est le plus difficile, il y a aussi l’isolement. T’es isolée de l’extérieur. Le monde à l’extérieur, il n’arrête pas de tourner, mais toi dans ta tête, ça s’est arrêté là. C’est comme une autre planète, quand tu rentres, tu te sens dépaysée, tu te sens comme un animal qu’on retire de la jungle pour le mettre dans un zoo. Tu deviens révoltée, agressive, dépressive, tu vis plein d’émotions. J’ai cru à un moment que c’était la fin pour moi.» La solitude, les blessures, le chagrin, le désespoir, tous ces mots avaient trouvé leur vrai sens pour elle. Dans sa cellule qu’elle partage avec d’autres femmes qui ne sont pas forcément de son avis, Ghania avait du mal à s’adapter à cette situation surtout que son mari était loin d’elle. Il purge sa peine de 10 ans à la prison de Khenchela où il avait entamé une grève de la faim qui a duré 15 jours. «Notre relation a toujours été solide. Nous nous sommes mariés par amour et nous continuerons à nous aider.» Regardant le ciel, elle continue de décrire ce qu’elle ressent ainsi que toutes les femmes qui ont connu le même sort. «Côté identité, tu deviens mêlée, il faut que tu te forces pour rester toujours toi-même parce que tu as toujours des points noirs autour de toi, c’est du négatif tout le temps. Il ne faut pas que tu te laisses embarquer, sinon tu deviens dépressive, surtout lorsque tu as un long temps à faire. Ça n’a pas d’allure, le monde continue à rouler dehors». Et d’ajouter : «Côté affectif, des fois, tu deviens froide. Ta vie est déchirée comme un papier puis éparpillée partout. Non seulement tu fais ton temps et tu as de la misère, ta vie entière est bouleversée quand tu es dedans, et quand tu ressors aussi.» Trois mois de tourmente, de remontrances, après le choc sont passés et elle commença à réfléchir à la manière dont elle pouvait s’en sortir. Tout à coup, elle refusa de s’abandonner aux larmes et aux lamentations et si cette épreuve constituait un nouveau départ pour elle ? Ghania a décidé dès lors de s’inscrire pour passer son bac, un projet et un rêve qu’elle voulait partager avec son mari puisqu’ils avaient décidé de le repasser pour faire des études supérieures. Le déclic, elle l’a eu grâce à trois autres prisonnières qui sont passées par-là et avaient compris que la seule issue pour marquer un nouveau départ dans leur vie, ce sont les études et le diplôme ; «l’arme par excellence pour toutes les femmes», ont-elles approuvé. Munie d’une volonté de fer et profitant du programme de réinsertion proposé par la direction de la prison, Ghania décrocha cette année même son bac. «C’était pour moi le premier signe de la réconciliation avec l’avenir», a-t-elle souligné. Depuis ce jour, elle se prépare pour sa nouvelle vie. Le bac, Ghania en a décroché trois et elle s’est inscrite à la faculté de droit de l’université Mentouri de Constantine pour l’année 2007/2008 car elle pouvait enfin bénéficier de la semi-liberté. Actuellement, elle est en première année. Mais pourquoi donc ce choix ? Il faut signaler que la majorité des femmes ayant obtenu leur bac en prison se sont inscrites en faculté de droit. Ghania qui rêvait plutôt de suivre des études de langues étrangères pour avoir une licence d’anglais, nous explique : «Il fallait que j’étudie le droit pour être à l’abri de l’injustice et pour qu’un jour je puisse prouver mon innocence bien que mon souhait était d’étudier les langues et d’avoir une licence d’anglais. Mais je ne veux pas être avocate ni juge, je n’aimerai pas être à la place de quelqu’un qui pourra décider du sort d’une autre personne.» Sans aucun complexe, Ghania se rend, accompagnée de son frère, chaque jour à l’université du samedi au mercredi. Elle suit ses cours et ses TD le plus normalement du monde. Son programme, bien entendu, est adapté à sa situation mais aucune personne de son entourage à la fac, hormis le personnel administratif, ne connaît sa véritable situation. Aujourd’hui, elle est consciente de ce qu’il l’attend mais décidée à prendre les choses en main. «Quelles que soient les difficultés, les études et le savoir sont la seule issue pour les femmes en général et pour celles qui sont en prison comme moi en particulier. Bien évidemment, je ne souhaite qu’aucune autre femme ne vive ce que j’ai vécu. La prison n’est pas facile surtout pour les femmes», a-t-elle conseillé. L’avenir ? Dans sa cellule, elle n’arrête pas d’y penser : «Je vais rencontrer des difficultés. Je n’ai plus de maison ni de travail, en plus je dois rembourser près d’un milliard de centimes, je me demande comment je vais faire ?» De nombreuses questions se bousculent dans sa tête et qui ne trouvent pas encore de réponse. La seule différence pour Ghania, c’est qu’elle est convaincue que sa vie dans le milieu carcéral ne constitue plus la fin mais marquera un début.