GAZELLE UN MAGAZINE IDENTITAIRE PAS COMMUNAUTAIRE
En 2005, le magazine « Gazelle » se fait une place dans le paysage médiatique français. Sa particularité : il s'adresse aux femmes d'origine maghrébine en prenant en compte leur double culture. Une identité forte mêlant humour et sérieux qui ne cesse de séduire des lectrices toujours plus nombreuses. Rencontre avec Nathalie Durand, rédactrice en chef et initiatrice de ce projet unique.
Comment vous est venue l'idée de créer un magazine pour les femmes d'origine maghrébine ?
Copyright Axelle Delafolie
Il y a quelques années, je suis allée m'installer au Maroc avec l'idée de créer le premier magazine de santé diffusé dans tout le Maghreb. Il s'appelait « Atout Santé ». Les raisons d'un tel projet : je me suis toujours sentie proche de la culture maghrébine. J'ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de franco maghrébins, et j'avais beaucoup d'amies d'origine maghrébine. Bien que cette expérience ait été très concluante, j'ai décidé de rentrer en France au bout de quelques temps. J'avais envie de créer le premier magazine pour les femmes d'origine maghrébine car je trouvais qu'elles étaient complètement absentes du paysage médiatique.
Il y a eu une première expérience avec
« Yasmina » qui a échoué. Comment expliquez-vous le succès de Gazelle ?
« Yasmina » était un magazine d'interviews, de portraits de femmes qui avaient réussi socialement. Mais ce n'était pas l'idée que j'en avais. Personnellement, je souhaitais montrer la femme d'origine maghrébine dans toute sa diversité, parler de son identité issue de la double culture. Je voulais également dépoussiérer un certain nombre de clichés. Je pense que ce qui fait le succès de Gazelle c'est le ton très particulier du magazine. On rit, on s'étonne tout en s'informant. On parle de tous les sujets abordés dans les magazines féminins mais en les adaptant à la culture. Il y a quelques tabous liés à la sexualité par exemple. C'est pourquoi on respecte la pudeur de nos lectrices, la religion. De plus, le magazine fait une grande place à la beauté ce qui plaît beaucoup à nos lectrices. Enfin, les filles qui posent dans le magazine sont d'origine maghrébine. C'est important qu'elles soient représentées car elles ne sont pas présentes dans les médias, à part de puis peu avec Rachida Brakni et Afef Jnifen pour L'Oréal. Les franco maghrébins représentent tout de même 6 millions de personnes et on ne les voit pas, hormis à la télévision, souvent de manière négative d'ailleurs !
Avez-vous rencontrés des obstacles lors de la création du magazine ?
Oui car pour les annonceurs, les filles d'origine maghrébine n'ont pas toujours bonne presse. Et les clichés véhiculés à leur égard sont souvent négatifs : ce sont des filles opprimées, voilées qui vivent dans des cités. Pour lancer le premier numéro, il a fallu frapper à toutes les portes des agences de publicité. Ce qui n'a pas été facile ! Mais à force de persévérance, Marc Toulemonde, le directeur marketing de L'Oréal Paris a accepté de nous recevoir. Il été séduit par notre projet qu'il a jugé ambitieux et nous a pris un budget sur plusieurs numéros. Voilà comment l'aventure a commencé.
Que répondez-vous aux personnes qui taxent « Gazelle » de magazine communautariste ?
Nous ne sommes pas du tout d'accord avec cela. Pour nous, « Gazelle » est un magazine identitaire. Il faut arrêter de parler de communauté sinon on créera toujours des clivages. Aujourd'hui, on se bat pour que « Gazelle » soit reconnu comme un magazine féminin comme les autres. Les annonceurs sont encore très frileux à l'idée de mettre de la publicité dans le magazine car ils ont peur d'être associés à l'Islam. Nous nous battons justement contre l'idée de communautarisme !
En tant que rédactrice en chef, comment parvenez-vous à répondre aux attentes des lectrices ?
C'est en quelque sorte notre métier de répondre aux attentes des lectrices. Je connais bien nos lectrices dont le cœur de cible est les 25 – 35 ans. On choisit nos articles et nos interviews en fonction de cette cible. De plus, je travaille avec des journalistes qui connaissent bien la culture d'origine maghrébine, soit parce qu'elles en sont issues elles-mêmes soit parce qu'elles s'y intéressent. Il arrive aussi que les lectrices nous fassent part de leurs attentes en nous faisant des suggestions d'articles sur des thèmes qu'elles souhaitent voir traiter.
Quelles sont les rubriques incontournables que l'on peut trouver dans
« Gazelle » ?
La beauté bien sûr ! On trouve aussi des sujets d'actualité, de culture, de bien-être, de vie amoureuse, de grossesse. On peut également découvrir des régions ou des villes du Maghreb. Depuis peu, on a intégré des pages people. Le magazine s'ouvre toujours sur une interview d'artiste qui a une actualité culturelle. Pour le prochain numéro, les lectrices pourront retrouver Sophia Essaidi qui nous parle de sa comédie musicale. (« Cléopâtre », à l'affiche depuis le 29 janvier au Palais des sports de Paris, ndlr)
Interview de Nathalie Durand par Sarah Ben Ammar pour Babelmed