C’est une aube nouvelle pour Dior. À travers ce premier chapitre, Jonathan Anderson engage un dialogue délicat entre mémoire et mutation. Ce n’est pas une révolution spectaculaire, mais une translation subtile : un décalage du regard, une façon de redonner au vêtement son autorité tranquille.
Depuis son arrivée, l’attente était à la hauteur du pari : comment cet esprit libre, formé à la rigueur britannique et aux expérimentations de Loewe, allait-il s’approprier l’héritage le plus codifié de la couture française ? Sa réponse, à Paris, s’inscrit dans la retenue et le mouvement.
La mise en scène, conçue avec Luca Guadagnino, prend des airs de théâtre mental : un cube translucide suspendu au-dessus du sol, des projections fragmentées, un tempo lent et nerveux à la fois. Anderson y déploie une esthétique du dédoublement : l’histoire Dior est présente, mais comme un écho assourdi. L’ombre du New Look plane, mais s’effrite sous la lumière crue d’une génération qui cherche moins à plaire qu’à comprendre.
Ici, tout respire la coupe. L’œil s’attarde sur le travail de ligne, sur la structure allégée, sur la manière dont le vêtement épouse le corps sans jamais le dominer. Il y a une volonté manifeste de désacraliser la couture, de la rapprocher d’un geste quotidien sans lui ôter sa noblesse.
Début d’ère, et geste de coupe avant tout. Anderson décompresse la Bar en ouvrant la ligne: buste moins corseté, dos amplifié qui donne de l’élan, revers affinés, boutonnage simplifié. L’architecture Dior change d’appui, avec des épaules cadrées mais une fluidité accrue dans le mouvement. Les jupes adoptent un plissé court et nerveux, dialogue avec des manteaux à col haut, des capes de drap et des mailles denses qui arriment l’allure. La taille abaissée et les ceintures fines recadrent la silhouette sans emphase décorative; la féminité se lit dans la proportion et le tombé plutôt que dans l’ornement. Les transparences sont maîtrisées, en couches lisibles qui tempèrent la sensualité par la construction. Le vocabulaire maison est recodé: la courbe Dior devient un tracé plus droit, la fameuse cambrure s’exprime par la coupe et la matière, non par la sculpture du corps. Sur le plateau, le rythme visuel est soutenu, alternant tailleurs assouplis, robes dos nu et denim à jambes barillet pour casser l’attendu. Résultat: un reset précis, portable, immédiatement éditable, qui installe une nouvelle grammaire sans renier l’ADN. Un premier chapitre incisif qui replace Dior au centre du jeu.
Ce qui frappe dans cette première collection, c’est l’équilibre fragile entre rigueur et relâchement. Anderson joue avec les volumes comme un sculpteur moderne : un tailleur peut se tordre légèrement dans le dos, une manche s’arrondir au poignet, un ourlet s’interrompre brusquement. Ces déséquilibres apparents créent une allure vivante, jamais figée.
L’homme derrière cette transformation ne cherche pas à effacer la maison ; il la fait respirer autrement. L’héritage de Christian Dior n’est plus convoqué comme icône, mais comme matière première. Les archives deviennent une base à réécrire, un champ d’exploration. On reconnaît le Bar, la jupe corolle, la blouse de mousseline, mais tout est recomposé dans une logique d’édition contemporaine.
Chez Anderson, le textile parle avant le mot. Draps de laine dense, gabardines fines, satins mats, organzas opaques : chaque surface semble dialoguer avec la main de l’artisan. Le cuir, omniprésent, se fait souple et silencieux, presque domestiqué. Le denim, lui, surgit comme un clin d’œil ironique : un rappel que le luxe n’a plus peur du quotidien.
Les couleurs, sobres, alternent entre blancs cassés, anthracites et beiges minéraux. Quelques irruptions de rouge cerise et de vert bouteille viennent ponctuer le défilé, comme des respirations. Rien d’ostentatoire : tout se joue dans la texture, la profondeur, la lumière.
Ce « chapitre 1 » marque une évolution majeure dans la manière dont Dior pense le corps féminin. Le regard se déplace : de la taille vers l’épaule, de la cambrure vers la démarche. L’attitude remplace la pose. La femme Anderson pour Dior n’est ni muse ni mannequin ; elle est présence.
Sur le podium, les silhouettes marchent d’un pas long, presque horizontal, comme si le sol devait absorber leur mouvement. Les tissus suivent, accompagnent, effleurent. On perçoit l’idée d’une couture qui ne se regarde plus dans le miroir, mais dans le réel.
Le grand mérite de Jonathan Anderson, ici, est d’avoir ramené l’émotion dans le tailoring. Il ne s’agit pas d’effet, mais de sensation : celle d’un vêtement pensé pour durer, pour être vécu. La poésie naît du détail : un bouton en nacre presque invisible, une doublure soyeuse qui s’échappe, un pli légèrement désaxé. Ces accidents calculés rappellent que la beauté, chez Dior version Anderson, réside désormais dans l’inattendu.
Cette approche presque architecturale de la mode ne cède pourtant rien à la sensualité. Elle la traduit autrement : dans la liberté du mouvement, dans le confort qui devient un acte esthétique. Anderson impose une féminité consciente, déliée, ancrée dans son époque.
Le maquillage signé Peter Philips joue la transparence : un teint frais, presque nu, une lumière diffuse sur les pommettes. Les lèvres se teintent de rosé mat, les cils s’effacent pour mieux dévoiler le regard. Guido Palau, côté coiffure, opte pour des attaches souples, des mèches libres, une élégance sans effort. Tout est pensé pour accompagner, jamais pour dominer.
La beauté devient ici un prolongement du vêtement : un équilibre, une respiration.
Ce premier volet chez Dior n’a rien d’un coup d’éclat isolé ; il ouvre un champ narratif. Anderson semble vouloir écrire par épisodes, bâtir un récit sur la durée. Le « chapitre 1 » n’est qu’un prélude : un acte inaugural qui pose des fondations solides tout en laissant place à l’imprévu.
L’idée n’est pas de faire table rase, mais d’activer la mémoire, de la réorienter. Dior, sous Anderson, devient un laboratoire d’équilibres : entre héritage et rupture, entre silence et impact.
À la sortie du défilé, les réactions oscillent entre fascination et curiosité. On salue la précision, la mesure, la cohérence. Certains y voient déjà un tournant majeur pour la maison, d’autres une introduction prudente. Mais tous reconnaissent une chose : Anderson a su faire de Dior un espace vivant.
Ce premier chapitre ne clôt rien : il ouvre. Il appelle les suivants, ceux où l’on verra comment cette grammaire nouvelle s’étend, se confronte, se nuance.
Dans une industrie avide de rupture immédiate, Anderson choisit la lenteur, la profondeur du geste. Il ne fait pas de Dior un autre Loewe ; il en révèle un visage que l’on n’avait peut-être plus su regarder. Ce n’est pas une révolution de surface, mais une réécriture du regard : une couture qui se pense dans le temps, qui s’éprouve, qui respire. Une maison qui, sous sa main, redevient ce qu’elle a toujours été : un lieu où la forme raconte l’émotion.
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