Ce jeudi soir à Timimoun, le tapis rouge du Festival du film amateur s’est transformé en écrin de désert. Sous les projecteurs, la silhouette de Nihad Markria a fendu la nuit ocre : taille ceinturée, volume sculptural sur les hanches, plastron bijou qui captait la lumière comme des éclats de turquoise. La tenue signée House of Séléné n’a pas seulement habillé l’instant : elle a fait basculer l’édition du festival dans une autre dimension. Rencontre avec le créateur qui nous parle de sa création et de l'histoire de sa maison.
Derrière cette maison de couture discrète, un créateur de 38 ans qui exerce depuis près de dix ans, mais choisit de rester anonyme. Une volonté assumée : laisser la lumière aux femmes qu’il habille, garder pour lui le mystère d’un atelier où se croisent souvenirs d’enfance, héritage algérien et obsession du détail.
« Je veux que l’on retienne les silhouettes, les émotions, plus que mon visage », confie-t-il.
Un badroune réinventé pour le désert
Pour Timimoun, il a choisi une pièce manifeste : un badroune revisité, pensé comme un dialogue entre tradition et couture contemporaine. Le croquis, qu’il nous a confié, ressemble à une héroïne d’illustration haute couture : buste brodé, taille fine, pantalon architectural, le tout exécuté dans une palette turquoise et or qui semble née des dunes au coucher du soleil.
« C’est un badroune, minutieusement travaillé en soutache, explique le créateur. Le plastron est richement perlé, orné de turquoises naturelles qui apportent profondeur, mélangent modernité et héritage avec le style rétro des années 60. » Sur Nihad Markria, la pièce prend vie : le buste sculpté allonge la silhouette, l’encolure bijou encadre le visage, l’or dialogue avec la peau chauffée par les projecteurs.
Le bas de la tenue échappe à toute lecture purement folklorique. « Le bas se compose d’un pantalon chelka en taffetas de soie, structuré par une coupe contemporaine et animé de poches discrètes qui ajoutent modernité et aisance », poursuit-il. La démarche est claire : faire du costume traditionnel algérien un terrain d’exploration, où l’on ose les structures, les poches, les volumes, sans jamais trahir l’ADN des pièces originelles.
Bijoux sahraouis, lumière contemporaine
Pour compléter la silhouette, le créateur s’est entouré d’un autre savoir-faire algérien. Les bijoux sont signés Linda Lekhal, de chez Bijoux de Fatma. « Ils sont réalisés en laiton artisanal martelé, gravé et façonné avec la finesse qui distingue son savoir-faire », précise-t-il. Les motifs sahraouis, ancrés dans la mémoire du désert, encadrent le visage et soulignent le plastron comme une armure lumineuse.
« Les motifs sahraoui, héritage profond du désert, viennent sublimer la tenue d’une touche culturelle authentique et puissante, entre tradition et élégance contemporaine », résume-t-il. Sur le tapis rouge de Timimoun, le résultat est évident : loin d’un simple costume de circonstance, la silhouette raconte un territoire, une géographie intime, un futur possible pour la mode algérienne.
Une maison née dans les magazines de sa grand-mère
Si le geste couture est aussi assuré, c’est qu’il plonge ses racines dans l’enfance. « Passionné par la haute couture depuis l’enfance, j’ai grandi auprès de ma grand-mère maternelle, ancienne couturière, qui conservait de précieux magazines de mode des années 50 à 70 », raconte-t-il. Les pages patinées par le temps, les silhouettes New Look, les broderies surannées ont servi de premier vocabulaire esthétique.
Curieux, il la bombardait de questions : « Je la questionnais sans cesse sur les maisons de couture, les coupes et les tissus ; elle fut ma première école, mon premier guide. » Ses études, d’abord, l’entraînent loin du domaine artistique. Mais la passion reste là, nourrie saison après saison par les défilés de haute couture, par ces archives mentales de Dior, Balenciaga ou Yves Saint Laurent revisitées à la lumière de son Algérie intérieure.
À 30 ans, le basculement. « J’ai décidé d’embrasser pleinement ce rêve en intégrant une école de couture à Alger. » Dans les salles de classe, la théorie croise la mémoire familiale ; dans l’atelier, il apprend la discipline des toiles, la rigueur des patronages, la patience des finitions mains. House of Séléné commence à prendre forme.
Séléné, reine numide et femmes algériennes
Le nom de la maison, lui aussi, est un manifeste. « J’ai choisi le nom Séléné en hommage à Cléopâtre Séléné, épouse de Juba II, reine de Numidie », explique-t-il. Une figure historique qui mêle héritage méditerranéen, pouvoir et sens politique, mais surtout une certaine idée de la souveraineté féminine.
« Symbole de beauté, de force et de résilience, elle incarne l’essence même de la femme algérienne, de Lalla Fatma Nsoumer aux moudjahidates, jusqu’aux femmes d’aujourd’hui. À travers ma maison, je souhaite célébrer ce courage et cette élégance intemporelle. J’espère changer les choses et la mode, surtout le tapis rouge, qui est une vitrine internationale du savoir-faire algérien. » Le badroune de Timimoun s’inscrit dans cette ambition : une réponse haute couture à la question “à quoi devrait ressembler un tapis rouge algérien en 2025 ?”
Des dunes algériennes aux scènes internationales
House of Séléné ne se limite pas au désert. En 2020, le créateur signe une tenue pour Nova Stevens, Miss Canada 2020, première femme noire à porter ce titre. « Nova est une réfugiée du Soudan du Sud », rappelle-t-il. La collaboration se prolonge avec Miss Canada 2021, puis avec Miss Cameroun 2022, qui défile à Miss Univers à Bâton Rouge dans une création Séléné.
Ces robes, dignes des plus grandes robes de soirée internationales, prouvent que la maison maîtrise autant la grammaire du concours de beauté que celle des tapis rouges intimistes. Entre le mannequin noir auréolé d’or et la silhouette turquoise de Timimoun, un même fil rouge : réconcilier puissance et grâce, donner aux corps un langage qui dépasse les frontières.
Timimoun, nouveau visage du tapis rouge algérien
En habillant Nihad Markria à la première édition du Festival du film amateur de Timimoun, House of Séléné signe plus qu’un look. Le créateur y rassemble les éléments qui structurent sa vision : un vêtement patrimonial comme le badroune, un travail de broderie et de soutache digne des grandes maisons, un pantalon chelka réinventé, des bijoux sahraouis pensés comme des œuvres à part entière.
Ce soir-là, le tapis rouge cesse d’être un simple passage obligé pour devenir un espace de récit. Le désert, les motifs, les pierres, la coupe, la démarche de la muse : tout est mis au service d’une écriture nouvelle de la mode algérienne. Une mode qui ne copie pas les codes occidentaux, mais qui les rencontre, les détourne, les enrichit.
Les silhouettes de House of Séléné voyagent désormais de Timimoun aux scènes internationales, des tenues algériennes réinventées aux robes de soirée les plus spectaculaires. Ce badroune n’est qu’une étape dans une écriture plus vaste, celle d’un atelier qui façonne, pièce après pièce, une nouvelle grammaire du tapis rouge algérien. Loin des flashs, entre soie, soutache et bijoux sahariens, Séléné impose peu à peu sa signature : une élégance ancrée dans l’héritage, résolument tournée vers l’avenir.
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