
ninaprecious · 26 mars 2012 à 16:34
Alger, dimanche 30 mars 1956. Il est 18h35. Une forte explosion secoue le Milk Bar, une brasserie très fréquentée de la capitale. Bilan : trois morts, des femmes, et une douzaine de blessés. La bombe est déposée quelques minutes plutôt par une jeune militante du FLN (Front de libération nationale), Zohra Drif. Etudiante en droit à la faculté d'Alger, Zohra Drif, 22 ans, a été recrutée par Yacef Saadi, chef de la zone automne d'Alger.
Dans un livre paru récemment en France, « Lettre ouverte à Zohra D. », la journaliste et écrivaine Danielle Michel-Chich interpelle Zohra Drif sur cet attentat dont elle est une de victimes. Ce dimanche 30 mars 1956, Danielle, âgée de 5 ans, avait perdu sa grand-mère alors qu'elle même fut amputée.
Lettre à Zohra D.
Dans sa lettre à Zohra D., la journaliste écrit à l'adresse de Zohra Drif : « Vous avez posé la bombe sous notre table au Milk Bar, des témoins l'ont raconté. Mais vous nous avez vues, ma grand-mère et moi. Vous saviez que nous étions innocentes. Comment, lorsque l'on croise le regard de ses victimes, peut-on encore réagir ? […] Vous n'avez pas jeté une bombe sur Jacques Soustelle (Gouverneur général de l'Algérie, NDLR) ou sur le général Massu. Vous vous en êtes prise à des innocents. Finalement, vous avez été très en avance sur votre temps : vous avez inauguré le terrorisme aveugle ».
Aujourd'hui sénatrice du tiers présidentiel, Zohra Drif, 78 ans, revient sur cet événement dans un entretien accordé au journaliste Malik Ait Aoudia, de l'hebdomadaire français Marianne (24 au 30 mars 2012).
Bien qu'elle ne réponde pas directement à l'interpellation de Danielle Michel-Chich, Zohra Drif livre ses explications. Extraits
Pourquoi l'attentat ?
« Cela faisait des mois que des ultras de l'Algérie française posaient des bombes dans les quartiers algériens. Ces bombes, qui ont fait des centaines de morts, étaient posées avec la complicité de la police pour terroriser le peuple algérien qui soutenait le FLN. Cette campagne de bombes a culminé le 10 août 1956 avec l'attentat de la rue de Thèbes, au centre de la Casbah. Une bombe déposée à 1 heure du matin, pendant le couvre-feu, a fait un carnage, plusieurs maisons se sont effondrées sur leurs habitants, on a compté plusieurs dizaines de cadavres et des centaines de blessés. Bien évidement, la police coloniale n'a rien fait. En dehors d'Alger, l'armée française détruisait des villages, s'en prenait aux populations civiles sur lesquelles elle a lâché des tapis de bombes, elle déportait des centaines de milliers de personnes qui étaient parquées dans ces camps. L'armée française menait une guerre totale contre le peuple algérien. L'objectif clair était de terroriser le peuple algérien pour lui faire perdre confiance dans la capacité du FLN à se battre et à le protéger. »
Pourquoi déposer une bombe au Milk Bar ?
« Oui. Tel était l'objectif de l'action décidée par la direction du FLN, celle de porter dorénavant la guerre au sein des populations civiles européennes qui, il ne faut pas l'oublier, était partie prenante dans cette guerre, en exigeant de protéger son statut par n'importe quel moyen. Je l'ai fait d'autant plus librement que je partageais totalement la lecture politique de ma direction. »
Etait-elle consciente qu'elle s'empênait à des innocents ?
« Ce n'est pas à moi qu'il faut demander des comptes pour cette bombe, c'est aux pouvoirs français qui ont asservi le peuple algérien depuis 1830 en utilisant les méthodes les plus barbares. De quoi étaient coupables les millions d'Algériens morts depuis 1830 ? De quoi étaient coupables les villageois « napalmés » ? De quoi étaient coupables les victimes de la guerre totale menée dans le bled avec les moyens de la quatrième armée du monde et le soutien de l'Otan ? Je ne suis pas née pour tuer, je n'ai pis aucun plaisir personnel à poser cette bombe, mais nous étions en état de guerre, une guerre qui nous a été imposée depuis 1830. Comme l'a déclarée le grand Larbi Ben M'hidi au général Bigeard après son arrestation et avant son assassinat : « Nous aurions volontiers tronqués nos couffins contre les avions et les tanks de l'armée française. »
Zohra Drif éprouvait-elle de la haine ?
« Jamais. Nous n'avons pas été élevés dans la culture de la haine. Le FLN a dès le 1er novembre 1954 déclaré que nous faisons la guerre au colonialisme et non au peuple français. Des Français nous ont soutenus avec beaucoup de courage parce qu'ils estimaient être de leur droit de rester fidèles aux idéaux qui ont fondé la République française. »
Source: dna-algerie.com