Les enfants de chouhada : des droits légaux confisqués et un Etat coupable d'injustice à leur endroit. 16 juillet, 2010
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Cet article a été publié dans le quotidien El Watan du 10 et du 11 juillet 2010, dans la rubrique « idées débats ».
Je voudrais rappeler aux lecteurs de mon blog que les questions que j'ai posées au premier ministre pour avoir des explications quant à la non application, depuis maintenant 11 ans, de ce texte de loi (la loi relative au chahid et au moudjahid), n'ont toujours pas eu de réponses. Ce qui témoigne en réalité de l'absence d'intérêt accordé par le pouvoir aux lois de la République et de l'indifférence manifeste que celui-ci (le pouvoir) affiche face au rôle des parlementaires et aux difficultés dans lesquelles se débattent quotidiennement les citoyens.
Voici le texte tel qu'il a paru dans le quotidien El Watan.
Evoquer, un demi-siècle après l'indépendance de la nation, les tracas, pourtant bien réels, que rencontrent les enfants de chouhada pour obtenir leurs droits légaux peut paraître décalé, anachronique. Cela peut aussi agacer et faire « grincer des dents » chez ceux là même qui croient que cette catégorie de citoyens baignent dans des privilèges, sans limites, consentis par une nation généreuse à leur endroit. A dire vrai, ce n'est pas le cas et si des enfants de chouhada – ils doivent sûrement être nombreux – ont accès à des faveurs particulières, c'est parce qu'ils sont dans les grâces d'un pouvoir dans le giron duquel ils se sont mis à couvert. Bien sûr, ceux là ne sont pas des enfants de chouhada « ordinaires ». Sans doute des thuriféraires du régime et autres clients. Le lecteur comprendra que le commun des filles et fils de chouhada – dont je plaide ici la cause – n'a pas la chance d'émarger dans cette « rubrique ». La majorité des orphelins mais aussi des veuves de la guerre de libération nationale vivent encore aujourd'hui dans le besoin quand ils ne sont pas dans un total dénuement. Pour autant, l'Algérie indépendante avait fait le serment d'en prendre soin. Ce serment a vite été oublié, trahi.
Chacun sait ce qu'est devenue la femme de chahid au lendemain de l'indépendance de la nation; un destin contrariée parce que, « fraîchement veuve », elle a été obligée – pour « garantir sa protection et celle de ses enfants » – de vite se remarier, quelques fois d'épouser en deuxième noce le frère du défunt mari; un avenir improbable quand, pour subvenir aux besoins de sa famille, elle a plongé dans le monde du travail et est devenue femme de ménage parce que souvent analphabète mais encore dans la force de l'âge, 18 à 30 ans tout au plus. Je rappelle au lecteur que la pension allouée, en ce temps, à la famille du chahid était de un dinar par jour et par enfant et de cinq dinars par jour pour la veuve. Une pension misérable, ceci explique cela.
Les enfants, seulement les garçons, ont été mis dans des internats crées à leur intention : les « maisons d'enfants de chouhada ». En réalité, ceux-ci avaient été tout simplement enlevés à leur mère. « Vos enfants sont les nôtres, ils sont les enfants de toute l'Algérie. Nous allons en prendre soin, leur donner l'instruction… », leur avait-on promis. Qui a bien pu avoir une telle idée ? Probablement une pratique importée des pays du bloc communiste ; des orphelinats pour « formater » les jeunes esprits afin de les apprêter pour servir la nation ou pour constituer une clientèle future au service du régime ?
Dans tous les cas, pour un grand nombre de ces jeunes enfants, cet épisode de leur vie a été au mieux un très mauvais souvenir, au pire il a constitué un véritable traumatisme psychique. Une vie de caserne militaire leur a été infligée. Des privations multiples et des châtiments corporels presque systématiquement administrés par, à quelques exceptions, des matons sans cœur. Ils ne seront pas nombreux, les enfants de chouhada, qui me contrediront…
J'ai fait, comme beaucoup de ces enfants, l'expérience de l'un de ces orphelinats, celui d'El Biar (château neuf, à l'époque), aujourd'hui musée du moudjahid. Au bout de quelques semaines, j'ai du fuir. J'ai encore en mémoire ce petit garçon de 7 à 8 ans qui « recevait la tannée » tous les matins parce qu'il était énurétique et faisait donc durant la nuit « pipi au lit ». J'ai aussi en souvenir que certaines soirées, on nous faisait écaler de grandes quantités de châtaignes ou des marrons. Pour quoi ? Pour qui ? Personne n'en savait rien. En revanche, je me rappelle bien que les coups tombaient avec facilité quand l'un de nous s'avisait à y gouter. Des soirées qui me paraissaient interminables.
Une tranche de vie que je relatais, il y a quelques semaines, à des confrères psychiatres. C'était à l'occasion d'un congrès qui s'est tenu à Béjaïa. Je ne savais pas que j'allais, par l'évocation de mes souvenirs d'enfance, provoquer l'émotion que j'ai vu naître chez l'un de mes confrères. Les yeux pleins de larmes, il me raconte que lui et ses trois frères ont également été pensionnaires de cet orphelinat, d'El Biar. Comme moi, il en a gardé un très amer souvenir. Plus tard, après avoir été déménagés au pensionnat de Hadjout, ils ont fait le mur et quitté cette institution. « Nous avons fui et à ce jour, personne n'a cherché à nous retrouver. Ils s'en foutaient que nous ayons disparu », a-t-il ajouté. Son émotion a été encore plus vive quand il m'a confié que sa mère a du « travailler comme femme de ménage dans une entreprise publique » pour subvenir à leurs besoins. « Dès que l'aîné de mes frères a touché son premier salaire, il a demandé à ma mère de rentrer à la maison. C'était un projet, elle avait fait assez de sacrifices pour nous ».
Un enfant de chahid, pupille de la nation, qui n'a souvenir ni de son père ni de sa mère, plusieurs fois élu local dans la wilaya de Tizi Ouzou, m'évoquait la vie pénible qu'il a eu dans une des maisons d'enfants de la région. Un ancien camp militaire français, reconverti pour la circonstance en pensionnat pour enfants de chouhada. Il me disait qu'il fallait parcourir près de 300 mètres pour aller aux toilettes, par tous les temps. Il a gardé en mémoire que : « la nuit, certains enfants faisaient leurs besoins dans leurs vêtements. Ils avaient peur de se lever et d'aller jusque là. C'était dur le lendemain. J'en ai gardé une cicatrice, un traumatisme… ».
Il est assurément inconvenant de convoquer le passé des veuves et des enfants de chouhada pour uniquement, aujourd'hui, se lamenter. Abandonnés par la nation depuis l'indépendance, voilà que les pouvoirs publics algériens commettent une nouvelle injustice à leur encontre. Un fait inédit et grave est survenu. Une loi de la République, votée voilà maintenant onze années, ne trouve toujours pas application sur le terrain parce que l'Etat ne s'est pas soucié de la faire accompagner du dispositif réglementaire nécessaire à sa mise en œuvre immédiate. Une iniquité qui pénalise et empêche de faire profiter de ses fruits ceux auxquels les dispositions de cette loi sont destinées, en premier lieu les filles et fils de chouhada. Il s'agit de la loi 99-07 du 05 avril 1999, relative au moudjahid et au chahid, publiée dans le Journal Officiel N°25 du 12 avril 1999. L'application de son article 39 est revendiquée avec une particulière insistance.
Voici ce que dit cet article. « Les moudjahidines, les veuves et enfants de chouhada en activité bénéficient, une fois dans leur carrière du droit à une promotion spéciale par l'ajout de deux catégories dans leur classement et de la dispense des concours professionnels au sein des organismes publics où ils exercent, lorsqu'ils remplissent les conditions requises ».
Un article de loi qui ne souffre d'aucune équivoque, qui peine encore à ce jour à trouver, notamment concernant l'ajout des deux catégories, une issue pour son application sur le terrain. Si certaines entreprises du secteur public ont procédé à la régularisation de cette situation, il n'en est pas de même pour les institutions qui relèvent du secteur de la fonction publique, comme par exemple l'éducation nationale.
suite..