"Telite w regebt m'esstah, cheft edenia w cheft e'nass. Echkite l'elbhar w ghèmite fi 9albi wesswass. B9ite Hayra, nkhemem, w nhawess lel b3id 3la djwab: yadra el ghayeb yweli ? yadra wech l'mektoub m'wedjedli ? "
Ou lorsque la terrasse, l'sstah, devient un des lieux de méditation favoris. Cet espace ouvert, avec vue sur l'horizon. Là où s'interroger devient légitime, là où, la seule vue du paysage appaise les coeurs, atténue les souffrances et estompe les doutes. Là où, il nous vient comme une envie de se confier à l'immensité, exploser sa joie et ses peines, mais aussi murmurer ses doutes à des passants, comme pour attendre d'eux un bon présage, un fèl quelconque de bon augure.
Et puis à une époque où les femmes n'avaient pas le droit de sortir, la terrasse devenait le lieu de rencontre entre les femmes du quartier. Chaque terrasse était coller à l'autre, comme pour s'enlacer, et créer une union entre les foyers. On pouvait y passer des heures à se raconter les ragots, à se confier, se plaindre pour enchainer avec des rires et des discussions coquines dont seules les femmes détiennent le secret. Comme si la brise donnait de la légèreté aux maux de la vie, comme si les évoquer en plein air les rendaient plus futiles, plus infimes.
La Terrasse, là où même la plus maudite des corvées se fait avec amour. Là où le ménage deviendrait presque un plaisir. Laver et étendre le linge et voir ses épaules se dorer au soleil. Virevolter autour des draps propres qui sentent le savon, et les laisser nous emporter avec eux sous le vent, mouillés, ils se collent à nous, nous chatouillent et nous rafraichissent. Étaler sur le sol de lourds tapis colorés, pour les laver, les faire mousser, les brosser jusqu'à s'écorcher les genoux. Les piétiner pour les nettoyer, et transformer ce moment en franche rigolade, en chantant sur la pointe des pieds du Souad Massi ou en dansant à la Samia Gamal.
Et puis faire sécher des herbes, des plantes et des légumes, sous le soleil, en pensant aux saisons futures. Se faire des colliers de jasmin, se tresser les cheveux et sentir Mesk elil qui émane des terrasses voisines. Se maquiller et s'épiler à la lumière du jour, se prendre pour la Diva des Terrasses. Comme pour provoquer ces moustachus qui trainent en bas, se pavanant, pensant que la Terre leur appartient, ignorant que vous, c'est les Cieux que vous domptez.
Car ce Harem à ciel ouvert, c'est ce qu'envient les Reines au petit peuple. C'est la liberté vue d'en haut pour les femmes qui vivent et grandissent entre les murs.
Et puis cette modeste terrasse, qui quelques tapis et quelques chaises plus tard, se transforme en Dancefloor en plein air, en Chapiteau nuptial, était le lieu des mariages, des cérémonies, de la fête du henné. Youyou, danse et brushings qui rendaient l'âme à vue d'œil. Pour des milliers de jeunes mariées, la terrasse allait devenir un souvenir immortel, celui de leur union, de leur mariage, et des moments agréables de leur vie.
Mais avant le mariage, la terrasse était surtout le lieu des premières amourettes, des "3achq etaqa mayetlaqa" dans une société ou on ne badine pas avec l'amour. Les premiers tirs de cailloux pour capter l'attention, les va-et-vient, tête haute pour intimider les mouettes et faire tomber les passants.
Regarder, se pencher, voir, puis reculer. chafni ? non. Se re-pencher, un peu plus cette fois-ci. chafni khlass! Reculer pour reprendre son souffle. S'assoir par terre à l'abri des regards, joues
3akri, couleur cerise, la découverte des premières joies de la séduction. Etre prise entre deux feux, la hachma et l'audace, tenter ou détourner, puis calmer ses ardeurs, toucher son coeur, et arranger sa frange. Et sourire, d'innocence, de bétise, de soi-même.
Puis prétexter des bouffées de chaleur, faire tout pour monter à la terrasse. Celle qui devient petit à petit à la fois témoin et coupable d'une passion naissante. S'y attarder et y passer des heures à scruter. A regarder tantôt vers l'horizon, tantôt vers le coin de la rue, en se demandant s'il va revenir. Et si c'était une erreur, et si on se faisait prendre ? Et si on s'en foutait. Attendre, Attendre puis encore et toujours attendre. Se passionner puis culpabiliser. S'impatienter la main sur la bordure de la terrasse, sur le tapis coloré qui sèche. Regarder les passants, le chercher, voir les moustachus "gardiens de la bonne vertue et de la rue" qui jouent aux dominos. Puis poser sa main sous son menton en soupirant. Puis l'apercevoir. Il est venu. Il marche, parle fort pour indiquer qu'il est là, fidèle au rendez-vous fixé par une simple
khezra, ce mot qui ne se traduit pas en français. Il lève son sourcil gauche et sa tête, pour vérifier que sa dulcinée est bien là. Il ose un furtif regard à la fois timide et perçant. Il dit bonjour aux moustachus, avec enthousiasme et hurle :
Twahechtkoum! Sous leur regard amusé loin de se douter de ce qui se trame fel 3lali. Et vous êtes comblée, vous savez que c'est pour vous qu'il hurle, vous souriez face à son audace et sa redjla qui vous a épinglé le cœur. Et ce manège durera encore et encore... des mois, voir des années... Vous grandissez sur cette terrasse, en regardant l'horizon, au sommet de votre terrasse, en vous murmurant :
"Telit w regebt m'esstah, cheftek w cheft e'nass. Ftahtlek qalbi w l'bahr 3lina 3assass. B9ite Hayra, w nkhamem w nhawess lel b3id 3la djwab : yadra ida ssah t3azni ? yadra ida nta li l'mektoub wedjedli?"
** (Cette chronique est quelque peu différente, elle ne parle pas de moi, mais de nous toutes, comme un hommage aux années f'esstoha. Ma vision des terrasses de mon pays. A vous me décrire la vôtre, fel 3lali).